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No.979 du 3 au 9 septembre 2014

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www.lesinrocks.com

rentrée musique Alt-J confirme The Shoes Baxter Dury Aphex Twin The Dø Yelle Caribou Leonard Cohen M 01154 - 979 S - F: 4,90 € - RD

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cher Benoît Hamon par Christophe Conte

C

e devait être ta première rentrée des classes. Maman, comme tu surnommes affectueusem*nt Martine Aubry, t’avait acheté unbeau cartable à l’effigie (pas très swag, je te l’accorde) de Pierre Mauroy. Avec ton nouvel agenda Jacques Delors, celui des rendezvous manqués, tu t’apprêtais à attaquer une année où l’inflexion à gauche, mais dans le respect de la solidarité gouvernementale, serait l’axe principal de ton programme. Inflexion mais pas génuflexion, pensais-tu, certain de posséder

lasouplesse de ces glorieux aînés socialistes qui surent s’adapter aux caprices du libéralisme sans perdre leur âme sociale. Et puis, patatras, la mauvaise rencontre, le loup au coin du bois, tu tombes sur Montebourg. Nono-grande-bouche, le bad boy de Frangy-en-Bresse, untype doué pour le théâtre qui sevoyait mal repiquer une année deplus en économie. “Viens, mignon, allons voir si la rose…”, t’a-t-il susurré à l’oreille, avant de t’entraîner à sa fête annuelle où, de la noble fleur chère à Ronsard, il est souvent célébré les épines. Faut dire qu’il était remonté

comme un coco, Nono, car à ce jeu de domination entre gueulards, ilvenait de se faire ratisser par un plus fort que lui, Mélenchon, alias Méluche-grosses-paluches, qui lui avait racketté sa VIeRépublique. Alors il lui fallait trouver unadjoint, un petit futé à l’air angélique, un doux rêveur capable d’attendrir les militants et lesdéputés pour les convaincre defoutre un peu le souk sous lepréau, mais sans se faire virer dubahut. Enplus, il t’a fait boire, dit-on. Uncubi entier de sa “cuvée duredressem*nt”, un tord-boyaux made in France suspecté d’avoirdéjà délocalisé des milliers de Chinois au cimetière. Lemanipulateur a aussi mis dans lacombine Aurélie Filippetti, l’intello coincée que tu reluquais ensecret, laquelle, par un mot gentil sur Twitter, t’a convaincu d’aller faire le matamore dudimanche chez les bouffeurs depoulets par l’aile gauche. Tu aurais vraiment dû te méfier, petit scarabée naïf, car Nono t’avaitdéjà fait le coup il y a six mois pour dessouder l’ancien proviseur, Jean-Marc Ayrault, le gros-plant duPays nantais. A l’époque, c’estPeillon qui avait payé pour lesautres, et le gang juvénile duNouveau Parti socialiste s’était déjà gravement effrité au nom d’unealliance de fortune avec Valls, mais les travaux Manuel se sont avérés si productifs que le redressem*nt n’a jamais eu lieu. Du coup, tes rythmes scolaires vont s’en trouver sacrément assouplis, mon pauvre Ben, et je m’inquiète pour ton avenir, moins pour celui de Nono qui sauratoujours embarquer d’autres bizuths dans ses coups tordus. Peut-être en faisant équipe avec Méluche. Aurélie aussi s’est fait virer, ça doit vaguement te consoler. Tu devrais la présenter à maman, ya peut-être un coup à jouer. Maispas avant la rentrée 2017, cequi risque de faire un peu long. Je t’embrasse pas, t’es encore unpeu jeune.

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No. 979 du 3 au 9 septembre 2014 couverture Alt-J par Vincent Ferrané pour LesInrockuptibles

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billet dur édito debrief recommandé interview express Antoine de Caunes événement bilan de l’université du PS le monde à l’envers histoire 2 la courbe la loupe démontage futurama nouvelle têteEva Bester style food

Vincent Ferrané pour LesInrockuptibles

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42 bande-son pour un été indien

60 le territoire d’Aurélien Bellanger

Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

sur un passionnant deuxième album, lesAnglais d’Alt-J continuent de casser les règles du songwriting pop + reportage à Stockholm auprès du mystérieux duo suédois JJ + les sorties de l’automne

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rencontre avec l’un des écrivains français les plus singuliers, qui publie L’Aménagement du territoire

64 dossier: la métamorphose

74 cinémas Métamorphoses, Obvious Child… 86 musiques The Kooks, Baxter Dury… 102 livres Haruki Murakami, David Peace… 110 scènes laRuhrtriennale 112 expos Liam Gillick 114 médias MrX –Le cinéma de Leos Carax ce numéro comporte un CD “Une rentrée 2014” encarté dans toute l’édition ; un encart “Quinzaine des réalisateurs” jeté dans l’édition France ; un encart scentseal “Bleu de Chanel” collé dans toute l’édition ; un supplément “Agora 2014” jeté dans l’édition Paris-IDF et les départements 24, 33, 40, 47 et 64 ; un supplément “Festival d’automne à Paris 2014” jeté dans l’édition Paris-IDF.

Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles

figure incontournable du moment, elle est au cœur de l’adaptation des Métamorphoses d’Ovide par le cinéaste Christophe Honoré + zoom sur une génération de plasticiens qui s’intéressent aux mondes non humains et à la place de l’homme

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Fred Dufour/AFP

Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, le 30août à Bercy

Macron et Mariton Ils ne savent tellement plus quoi dire que ça en deviendrait presque touchant. Que leur reste-t-il à proposer, en effet, alors que le gouvernement VallsII s’apprête à légiférer par ordonnances àpropos de l’extension du travail le dimanche ? Sans prendre le risque de passer par la case “Parlement et ses députés socialistes” et en attendant d’autres mesures sociales qui risquent de beaucoup déplaire au “peuple de gauche”. Les ténors de l’UMP en restent sans voix. Et Nicolas Sarkozy lui-même est sidéré, paraît-il. Du coup, il a décidé d’attendre encore un peu avant d’entonner le chant du retour, le temps que les choses s’éclaircissent. Il savait Valls “décomplexé” et prêt à tout, certes, mais pas à ce point-là. Un type qui parvient à se faire acclamer par le Medef et l’université d’été du PS en l’espace de troisjours, et avec un meilleur applaudimètre chez les patrons que chez ce qui reste d’élus socialistes, ça l’impressionne. Ilapprécie en connaisseur. C’est tout le problème: quand la gauche fait une politique de droite, la droite se retrouve sans rien à dire. Que répliquer à une gauche qui remplace Arnaud Montebourg par Emmanuel Macron ? Encore sous le choc de la spoliation idéologique la plus éhontée, mise à mal par la triangulation poussée à donf, hébétée devant l’ampleur du reniement et de la transgression, cette malheureuse UMP en est réduite à ânonner quelques pauvres éléments de langage dont il ressort qu’à gauche, c’est le bordel ! Non que ce soit faux mais venant du parti de Copé et Fillon, sans oublier Bygmalion

et Lavrilleux, évidemment, tout le monde rigole. L’hôpital, la charité, tout ça. Et comme personne –même pas Juppé– n’ose adopter la posture gaullienne de celui qui dira son fait à Merkel, l’UMP s’enfonce dans le coma. C’est tout le problème: quand plus rien ne distingue les deux grands partis de gouvernement, quand ils se découvrent d’accord sur à peu près tout, et reprennent d’une même voix le refrain Tina (“There is no alternative”) de la stabilité européenne et de la réduction des déficits à marche forcée, il y a fort à parier que leur différenciation politique se jouera sur du fangeux. C’est ainsi que depuis quelques jours, Najat Vallaud-Belkacem est traînée dans la boue sur l’air de “cette Arabe qui veut détruire la famille chrétienne n’a pas le droit d’être ministre de l’Education nationale”. Pendant que la gauche se donne un ministre de l’Economie qui n’a jamais vu un électeur –quelle horreur !–, tel Raymond Barre en son temps, mais celui-ci serait passé pour étatiste comparé à Macron, la droite voit le piège de la Manif pour tous se refermer sur elle. Tout ce qui lui reste, c’est le raidissem*nt sociétal et Taubira et NVB comme cibles privilégiées. Comment un Bruno LeMaire se sortira-t-il de ce bourbier ? Comment composer avec de pareils illuminés ? Et Sarkozy lui-même, assez en retrait sur cette affaire et assez peu soupçonnable d’hom*ophobie militante, que trouvera-t-il pour les calmer ? Toute à son désarroi, la droite n’a plus que la vieille affaire de l’ABCD de l’égalité filles-garçons pour crier au loup. Quand la gauche en est à Macron, la droite s’en remet à Mariton.

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apprendre à être quelqu’un grâce aux inRocKs La semaine dernière, trop de doigts dans la prise, l’expérience de l’altérité, des étoiles dans le ciel, quelques jours à Venise et des choses qui arrivent. Mon cher Inrocks, il est 7heures du matin, le réveil vient de sonner, etil pleut des cordes. Ala radio, droite de la gauche, gauche de la droite, droite de la droite, gauche de la gauche et le reste de la cour de récré débattent de la formation d’un nouveau gouvernement de cohérence qui devra ou pas tenir le cap du précédent, un truc dans le genre. L’angoisse. “Demain nous appartient”, affirme Jean-Luc Mélenchon dans l’interview qu’il t’accorde. Super. D’ici là, économisons nos forces: je coupe le son et décide de m’accorder quelques heures de sommeil supplémentaires. “Je suis le bruit et la fureur de mon époque”, avait dit Mélenchon. Moi,jesuis son silence et sa torpeur. “La tempête s’avance”, prophétiset-il. Jene vois qu’un ciel morne et une pluie sans vent. Jean-Luc croit possible de “changer la trajectoire qui nous mène à une catastrophe de la civilisation humaine”. Je constate les forces d’inertie qui me conduisent droit dans le mur. Mélenchon a “mis les doigts dans la prise trop de fois pour arrêter” de vouloir changer le monde, et moi, “trop de fois” pour croire qu’il est possible de changer quoi que ce soit, qui que ce soit, àcommencer par moi. Je me retourne dans mon lit. Merci Jean-Luc: demain nous appartient peut être. En attendant, ma grasse matinée est foutue. Ala douche. “Comment être quelqu’un ? Une personne à part entière, singulière, unique, pas comme les étoiles dans le ciel qui se ressemblent toutes.” Question universelle, commune, si peu singulière, posée dans le second roman de Sheila Heti. Etre un héros, sauver le monde, comme de Gaulle, Bruce Willis, et un jour peut-être Mélenchon ? Faire l’expérience de sa singularité par “l’expérience de l’altérité” comme Sheila Heti ? Ou prendre la mesure de son insignifiance, et espérer que n’être personne et le savoir, c’est commencer à être quelqu’un ? Mouais. Au fond, être ou ne pas être quelqu’un, est-ce vraiment la question ? “Jean Renoir disait que la chose la plus importante dans la vie c’est ce dont on se souvient”, explique James Salter. C’est peut-être une réponse. Demain ne nous appartient pas et demain n’a pas d’importance. Ce qui compte, ce qui fait de nous quelqu’un, c’est ce qui d’hier reste présent. Pour James Salter et le héros de son roman, ce dont on se souvient, ce sont nos “vies sentimentales” et “c’est ce qui compte le plus dans une vie”. Une vie constituée de bonheurs fugaces, d’“instants de plaisir, de moments volatils: un baiser, un ciel bleu, quelques jours à Venise”, mais aussi de moments d’effroi, de désespoirs violents et dérisoires, uniques et tristement banals. “Est-ce triste ? Je ne sais pas (…) Est-ce grave ? Non, cesont des choses qui arrivent”, et font de nous “desétoiles dans le ciel” insignifiantes, ni remarquables ni remarquées, mais chacune à une place. Etre quelconque, mais quelqu’un, c’est déjà ça. Changer le monde, on verra. AlexandreGamelin 8 les inrockuptibles 3.09.2014

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une semaine bien remplie Savourer le jazz grand cru de la Villette, fêter le quarantième anniversaire du Festival deDeauville, célébrer le travail des photojournalistes à Perpignan et s’adonner à des déambulations fantasmagoriques au Jardin des plantes.

terrains minés Visa pour l’image C’est dans un climat tendu, quelques jours après la décapitation du journaliste américain James Foley enSyrie, que s’ouvre àPerpignan Visa pour l’image. A découvrir, enmarge des nombreuses soirées consacrées à la Syrie ou la Palestine, les travaux respectifs deMaxim Dondyuk et Guillaume Herbaut menés en Ukraine, ou le reportage de Christophe Simon sur un groupe d’adolescents de la favela Cidade de Deus à Rio. photojournalisme jusqu’au 14septembre, Perpignan, visapourlimage.com

Guillaume Herbaut/Institute

Deux cosaques sur une barricade défendue par des militants pro-européens, Kiev,Uk raine, 9 décembre 2013

vintage Jazz à la Villette

Josh Shimmer

Très grand millésime pour le jazz (et la soul), l’année 1959 est fêtée cette année par Jazz à la Villette, le temps d’un premier week-end où les musiciens d’aujourd’hui reprendront John Coltrane, Charlie Mingus, Miles Davis et Ray Charles… Avant et après, on y verra Charles Bradley, Har Mar Superstar, Marc Ribot, Cascadeur ou Laura Mvula (photo)… Grand cru pour le festival parisien, donc. concerts du 3 au 14septembre, Paris XIXe, jazzalavillette.com 10 les inrockuptibles 3.09.2014

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art vivant

nuits américaines

Alexis Tricoire, Hybridations

Festival de Deauville

Cette fois-ci, le designer végétal Alexis Tricoire atrouvé chaussure à son pied. En investissant cetautomne les serres géantes du Jardin desplantes à Paris, cescénographe du vivant imagine des mondes dignes d’un roman de Lewis Carroll où se croisent volontiers les espaces les plus rares et les rebuts synthétiques de notre société deconsommation.

Cette édition célèbre, pour son quarantième anniversaire, l’histoire du festival normand. L’occasion de redécouvrir tous les films primés les années antérieures en même temps que les quatorze longs métrages encompétition. Parmi eux, le dernier vainqueur du festival de Sundance, Whiplash, de Damien Chazelle ou l’émouvant Love Is Strange d’Ira Sachs. Auprogramme également, des hommages à Robin Williams et LaurenBacall ainsiqueMagic in the Moonlight (photo), le prochain Woody Allen. cinéma du 5 au 14septembre, Deauville, festival-deauville.com

exposition du 6 septembre au 24 novembre dans le cadre de la Paris Design Week, grandes serres du Muséum national d’histoire naturelle, 57, rue Cuvier, ParisVe

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Philippe Quaisse/Pasco

“le moment est venu de la reconquête” Après avoir tiré un bilan contrasté de sa première saison à la tête du Grand Journal, Antoine deCaunes évoque ses objectifs pour l’année qui vient, l’arrivée de Natacha Polony, la concurrence de la TNT et son héros du moment.

V

ous avez fait votre rentrée, vous la sentez bien cette année ? Antoine deCaunes – Oui, on a eu une fin de saison un peu chargée avec la Coupe du monde, les réunions préparatoires pour la rentrée et la fatigue après une saison de deux cent vingtémissions. Mais on s’est tous retrouvés en août avec la volonté de modifier le cadre, le tempo, et la mise en page, et je retrouve à l’antenne ce que nous avions en tête fin juin. Ça s’est mis en place naturellement. Vous souhaitiez déjà accorder plus detemps aux invités la saison dernière. Pourquoi cela n’a pas fonctionné ? Le rythme du séquençage était trop

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soutenu, et nous avions trop de monde autour de la table. On a allégé, et la chaîne nous a donné trois minutes de plus. La différence est déjà palpable en quelques émissions. La saison passée, qu’estimez-vous avoir réussi ? et manqué ? Pour le passif, le trop-plein qui a créé cette impression de brouillon. On a corrigé le tir. Pour l’actif, la mise en place de toute la nouvelle bande: Monsieur Poulpe, le Gorafi, Nora Hamzawi, Jérôme Niel, Sébastien Thoen, Mathilde Serrell, Alisonet Vanessa. Autant de nouveaux talents qui font le ciment du Grand Journal. Aujourd’hui, on essaie de rééquilibrer information et divertissem*nt. Il y a une vraie demande d’info politique, sociétale, culturelle, à cette heure-là. Et c’est l’ADN du Grand Journal, comme c’était celui deNulle part ailleurs. L’émission est très séquencée mais, en même temps, on prend le temps de raconter des histoires. L’an dernier, les sketchs à l’humour très british avec François Damiens ou Elie Semoun n’ont pas toujours été compris par le public… C’est un humour dont je raffole. Manature profonde, c’est ça. La question que ça pose, c’est que lorsque c’est vraiment réussi, le téléspectateur a le sentiment de s’être fait avoir. Quand il se rend compte que c’est de la comédie, ilest furieux. Ça n’arrive pas qu’aux autres: Jimmy Kimmel vient de se faire allumer avec Jennifer Aniston et la parodie de Friends. De mon côté, le meilleur exemple, c’était le faux pugilat avec Elie Semoun. Je suis sorti du plateau fier comme un pou. On s’est fait flinguer partout (rires). Nous vivons dans un pays cartésien. Enfin, il paraît. La culture du sketch à la Jimmy Fallon est-elle soluble dans le paysage télévisuel français ? La culture du sketch, c’est le Saturday Night Live, de l’hebdo archiproduite. Il est illusoire d’assurer ça au quotidien.

“je voudrais faire Paul McCartney avant qu’il ne soit trop tard” Mais de temps en temps, avec des artistes qui ont envie de se prêter au jeu, la porte reste ouverte, comme vous allez pouvoir rapidement le constater. Natacha Polony débarque aux côtés de Jean-Michel Aphatie. Pourquoi recruter un nouvel intervieweur politique ? Cesdeux personnalités fortes ne risquent-elles pas de se neutraliser ? Je pense au contraire que leur addition va redonner du punch et du mordant auxinterviews. Le grand défaut l’année dernière, c’est que nous étions parfois cinq face à un invité. Ça partait dans tous les sens. Plus rien n’était identifié. Aujourd’hui, dans la partie1, il y a l’invité politique du jour. Dans la partie2, le fait du société du jour, l’histoire. Jean-Michel résume les raisons pour lesquelles nous recevons l’invité. Et Natacha Polony installe le cadre de la deuxième conversation. Les deux ont en commun, dans des registres différents, une fibre pédagogique très forte. Selon les enquêtes d’opinion, la plupart des jeunes ne regardent plus LeGrand Journal. Avez-vous le sentiment d’être devenu moins in que le 19/20 ? (Rires) Les temps changent, laconcurrence, le net… Les jeunes regardent moins la télé, le moment est venu de la reconquête ! (rires) Par le traitement de l’humour, le décalage duGorafi, le journal de Monsieur Poulpe, la séquence de Jérôme Niel ou celle deSébastien Thoen, la séquence de popculture, le choix des sujets de société. Enretrouvant l’équilibre entre talk etshow, ce Graal qui nous stimule tous. Vous vous verriez rempiler l’année prochaine ? On raisonne d’année en année,

mais oui. Je pense que comme les bons films à suite, le cycle de cette émission, c’est trois ans. Il y a une première année de transition, il y a une seconde année où l’on réalise les bons réglages et enfin la troisième où l’on s’amuse. Si je m’amuse toujours l’an prochain, j’aurai peut-être envie de continuer ou bien j’aurai le sentiment d’avoir fait le tour du sujet et je voguerai vers de nouvelles aventures. Comment voyez-vous l’avenir de la télévision avec l’explosion de la TNT et maintenant la concurrence de Netflix ? On annonce toujours la mort de la télévision comme on annonçait la mort du rock, il y a vingtans. J’ai l’impression que l’objet télé est là pour un bon moment encore, même si les modes de consommation ont changé. La télévision, au même titre que le micro-ondes pour faire réchauffer un plat de nouilles, reste un objet domestique dont la pérennité neme semble pas du tout menacée. Votre plateau culturel idéal ? Je voudrais faire Paul McCartney avant qu’il ne soit trop tard (rires). On lui court après depuis deux ans. J’aimerais construire des émissions complètes comme ça autour de grands personnages. Ça m’intéresserait d’entendre McCartney parler de politique, de m’expliquer pourquoi il est contre l’indépendance de l’Ecosse. J’aimerais savoir ce qu’il lit et ce qu’on doit écouter quand on s’appelle McCartney. Et qu’est-ce que l’on doit écouter quand on s’appelle deCaunes ? J’aime beaucoup Christine And The Queens, je la trouve fascinante. Sinon, j’aipassé l’été à écouter Damon Albarn et je n’ai pas réussi à en épuiser le plaisir. Quand je l’écoute, j’ai l’impression d’écouter toute l’histoire de la pop anglaise. L’influence Beatles, les Clash. Tout est concentré sans que ça ressemble à un mash-up stupide. Ouais, Damon Albarn. C’est mon héros du moment… propos recueillis par David Doucet

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la politique du moins pire En dépit de quelques mouvements demauvaise humeur sporadiques, l’université d’été du PS à LaRochelle s’estmieux déroulée que prévu. Avec un Manuel Valls habile à la manœuvre pour limiter les dégâts.

I

l allait y avoir du sang. Et des larmes. Du beau spectacle. Tout pouvait arriver, et même le pire. Parole de socialiste. La vingt-deuxièmeuniversité d’été de La Rochelle devait marquer un tournant historique. Après un remaniement surprise, le limogeage de Montebourg, celui d’Hamon –adieu l’aile gauche–, l’arrivée du banquier Macron à Bercy, ses déclarations sur les 35heures… la suite s’annonçait tragique. On promettait des déchirures, etpas des petites. Violence garantie. Pourquoi pas l’explosion du parti, l’incendie, avec en acmé le discours de clôture de Manuel Valls, sous les huées. Ce Premier ministre “de droite” –au PS on dit aussi “social-libéral” et c’est un gros mot– allait voir ce qu’ilallait voir. On allait lui montrer de quel bois on se chauffe, à gauche, parce que la politique de l’offre, c’estmal, et parce qu’on ne déclare pas sa flamme aux patrons du Medef comme il l’a fait sitôt ses nouveaux ministres nommés, sans en subir les conséquences. Les “frondeurs”, ce petit groupe de députés endésaccord avec la ligne économique de François Hollande, qui menacent de ne pas voter la confiance augouvernement, en septembre, et peut-être dans

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“je ne lâche rien parce que je sais que c’est la bonne voie” Le Premier ministre Manuel Valls, le 31 août à LaRochelle

lafoulée le budget 2015, devaient mener larévolte, galvanisés par l’ambiance à leur dernière réunion. C’était samedi, en marge de l’université d’été. Plusieurs centaines de personnes –un beau panorama d’à peu près tous les courants “orphelins” du socialisme moderne: strauss-kahniens, moscovicistes, aubrystes, hamonnistes, peillonnistes, mais pas que, puisque Gérard Filoche était là– s’étaient massées dans l’un des amphithéâtres de la faculté des lettres de LaRochelle, pour écouter Christian Paul, LaurentBaumel et Jérôme Guedj appeler le couple exécutif à changer de politique. La salle, (volontairement ?) trop petite, débordait demonde, et l’ambiance était survoltée. Effet remaniement, bien sûr. La réunion publique avait été organisée depuis des lustres, mais les récents événements lui ont donné une résonance particulière, comme à ses organisateurs, qui n’en attendaient pas tant. Sans complexes, ils ont profité de l’aubaine –parfois pour sortir de l’anonymat–, et fait de cet attroupement un peu bordélique le moment fort de ces trois jours d’université d’été en faisant entendre le centre temporaire du nombril socialiste. Et puis Christiane Taubira est venue, ça aide. A elle seule, la ministre de la Justice a réussi à donner une légitimité au mouvement et à doper sa médiatisation, même si à l’écouter exagérer, la manœuvre aurait pu lui coûter cher: “En venant ici, jeprends part à la politique, et j’en assume les conséquences.” Brrr: on tremble pour elle. A cette réunion, la garde des Sceaux, qui, “rappelons-le n’est pas encartée socialiste”, dixit les proches de Valls accourus pour minimiser la portée de son geste, “n’est restée que vingtminutes, et n’a prononcé aucun mot”. Pourtant on y a parlé, à cette réunion, deManuel Valls notamment et de ses récents choix: ladécision, annoncée la veille, de renoncer à l’encadrement des loyers, “pour rassurer les investisseurs et les promoteurs” dit l’un des proches lieutenants du Premier ministre, ce qui est “tout à fait” de gauche selon Jean-Christophe Cambadélis. Ça fait deux convaincus. Celle, dans les tuyaux, de légiférer par ordonnances, sur l’épineuse question du travail dominical etdes professions réglementées. Côté militant, les “on n’a pas fait campagne pour lerenoncement” ont fusé, de même que le très couru “en 2012, je n’ai pas voté pour cette politique”. On a évoqué la première sortie médiatique du nouveau ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, qui fut banquier d’affaires chezRothschild –l’information a été rappelée aussi, au cas où elle aurait échappé à quelqu’un. On a grossi letrait. On a employé les expressions “césure durable” et “fracture inquiétante” pour décrire le mécontentement des Français, “tentation totalitaire” et “putsch minoritaire” pour évoquer la décision d’écarter Hamon et Montebourg –on se demandait si les deux anciens ministres, qui ont fait le déplacement jusqu’à LaRochelle, allaient participer à ce débat: ils ne sont pas venus. On a scandé “vive, vive, vive la gauche”, plusfort que ça, avec parfois (presque) le couteau entreles dents. 3.09.2014 les inrockuptibles 15

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multiplier les allusions aux symboles socialistes

Christiane Taubira, applaudie à son arrivée à la “réunion desfr ondeurs”, le 30 août

“Vive la gauche”, du nom du collectif lancé dans la foulée par les frondeurs. Dimanche matin, les cris retentirent une nouvelle fois, au moment où “le boxeur” Manuel Valls alla rejoindre la tribune –“vive, vive la gauche”–, mais ils furent si furtifs qu’on crut d’abord à un écho. C’était les frondeurs qui tentaient de liguer le public. Mais la contagion n’a pas pris. De son côté, Manuel Valls rendait hommage aux victimes de l’explosion d’un immeuble à Rosny-sous-Bois, survenue quelques heures plus tôt, puis évoquait la larme à l’œil les obsèques du “camarade” Christian Bourquin, président du conseil régional de Languedoc-Roussillon, décédé le26août. Là, les frondeurs se sont tus. Allez siffler unmort… Habile, M.Valls. Ne restait plus qu’à multiplier les allusions aux symboles socialistes, parfois jusqu’à l’outrance (“Il faut arrêter de stigmatiser les populations en les ramenant à leur origine”, “Dans le pays de 1789, l’islam peut s’épanouir pleinement”, etc.), parler “rassemblement”, “égalité” et bien sûr prononcer lesmots magiques: “J’aime les socialistes”, un peu comme on dirait “j’aime les entreprises”, et le tour étaitjoué. Standing ovation, Taubira incluse –elle chantera même La Marseillaise. Ce Premier ministre-là sait vous retourner une salle. “Evidemment, il connaît les militants par cœur”, s’amuse un cadre du PS. Ratépour le bain de sang. A La Rochelle, le Premier ministre n’avait qu’une mission et il l’a réussie: sonner la fin de l’épisode du discours d’Arnaud Montebourg à la Fête de la rose de Frangy-en-Bresse. Il devait aussi réaffirmer son autorité. “De toute façon, je ne lâche rien parce que je sais que c’est la bonne voie”, dit-il à la sortie de son discours, enrejoignant lesmilitants. Eux (les militants), ManuelValls les avait rencontrés samedi soir à l’heure de l’apéro au cours d’un petit bain de foule faussem*nt

improvisé: photo souvenir, sourire crispé, fond sonore spécial PS (Stéphane Eicher, Je n’ai pas d’ami comme toi, oh non, non, non), accolade opportuniste, “Ah, tiens, salut Jean–Christophe”. Pour sa première université d’été en tant que premier secrétaire, Cambadélis surjoue, lui aussi, mais dans unautre registre, celui de la langue de bois. Son “Il n’y a pas de divisions, il y a simplement un dialogue. Le Parti socialiste est un parti de débats”, revient en boucle, avec de temps en temps un sympathique “mais bon, je comprends, vous n’allez pas écrire que c’est le calme plat à LaRochelle et qu’il ne s’y passe rien” tenté auprès d’un journaliste. Sans oublier d’embrayer sur “l’appel des200”, que Cambadélis cite à l’envi, un soutien dedeux cents députés de la majorité au président de la République, survenu, heureux hasard du calendrier, l’avant-veille de l’ouverture de l’université d’été. Là encore, l’opération est un peu trop visible. Pauvre Jean-Christophe Cambadélis, obligé de secantonner ausimple rôle de démineur, lui qui aurait tant préféré parler des “vrais sujets”: le lancement vendredi des Etats généraux des socialistes –en gros, les ateliers de la rénovation du parti, une avalanche de débats– et sa décision, courageuse, d’organiser un congrès, réclamé par les frondeurs, mais dont la date n’est en revanche pas encore fixée. Ce qui est sûr: ça ne sera pas pour tout de suite. “Ça dépend aussi des dates des régionales. Nous allons moduler tout ça et mettre en place unecommission regroupant toutes les sensibilités, sous-sensibilités et sous-sous-sensibilités pour décider ensemble de la date de ce congrès”, autant dire aux calendes grecques. D’ici là, le Parti socialiste aura eu le temps de s’unir à nouveau, de se “réinventer”, croit M.Cambadélis. Justement, c’était le thème decette vingt-deuxièmeuniversité d’été de La Rochelle: “Réinventons-nous !” Raté pour cette année. TristanBerteloot

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Manu Fernandez/AP/Sipa

Unem anifestante pour l’indépendance de la Catalogne, devant le Parlement de Barcelone

indépendance days Alors que l’Espagne se déchire sur le statut de la Catalogne, un débat serein anime le Royaume-Uni à propos de l’Ecosse. Enjeux croisés de deux référendums sécessionnistes.

F

audra-t-il redessiner l’Union Jack, le drapeau qui, depuis 1801, symbolise le Royaume-Uni et mêle les oriflammes del’Angleterre, de l’Ecosse etde l’Irlande ? Si, le 18septembre, l’Ecosse vote son indépendance, il faudra bien adapter cesymbole de l’unité britannique. Voire changer le nom officiel d’un royaume quine sera plus “uni”. Le 9novembre, laCatalogne espagnole veut, elle aussi, organiser une consultation sécessionniste que Madrid lui refuse avecobstination. Pour contourner l’obstacle, leparlement de Barcelone a donc dû appeler à une “consultation”. Une astuce qui ne parviendra probablement pas à convaincre le Tribunal suprême: la plus haute juridiction espagnole devrait ladéclarer anticonstitutionnelle. D’où ceparadoxe: les Catalans sont appelés aux urnes pour décider illégalement deleur avenir sans campagne officielle.

Car en Espagne, comme en Ecosse, ilest aussi question de symbole. Le11septembre, la Catalogne commémorera le tricentenaire de la chute de Barcelone aux mains des troupes royales. Une défaite qui marquait la fin de ses institutions indépendantes au profit de celles du royaume d’Espagne sous l’autorité d’une nouvelle dynastie, celle des Bourbons. Autrement dit, l’indépendance serait obtenue alors que règne sur le pays uncertain PhilippeVI, descendant direct du PhilippeV qui, il y a trois cents ans, soumettait par la force les Catalans. Unebelle revanche historique. Au-delà des symboles, les deux pays traitent ceproblème de façon diamétralement opposée. Le Royaume-Uni l’aborde defront et n’a jamais remis en cause lalégitimité du référendum. Les partisans et les opposants à l’indépendance multiplient les affichages et les meetings en Ecosse. Deux débats télévisés ont été organisés, des dizaines

une campagne haineuse et insidieuse côté madrilène

de rapports publiés, toutes les questions mises sur la table et discutées. L’Ecosse libre conservera-t-elle la livre sterling ? Le pays fera-t-il partie de l’Union européenne ? Reprendra-t-il une partie de la dette britannique ? République oumonarchie ? Côté espagnol, ces questions sont certes posées, mais par voie de presse partisane. Les quotidiens, télés et radios madrilènes se sont lancés dans une campagne haineuse et insidieuse contre l’indépendance catalane. Cette posture est parfaitement contreproductive. Côtécatalan, elle renforce l’idée d’une “collusion espagnoliste” et rend impossible un débat raisonnable, voire unplan de sortie de crise. Le résultat de cette campagne dedénigrement médiatique, ajouté aurefus tant institutionnel que politique, d’engager le dialogue est patent: lessondages montrent une hausse constante des partisans de l’indépendance. En Ecosse, à l’inverse, c’est le maintien de l’union avec l’Angleterre qui l’emporterait. Et même lerécent rebond du “oui” n’a pas suscité àLondres une ambiance de guerre civile, comme à Madrid. AnthonyBellanger

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histoire 2

Thomas Samson/AFP

Najat VallaudBelkacem et Benoît Hamon lors de la passation de pouvoir au ministère de l’Education nationale, le 27août

la refonte des bourses

Une circulaire publiée discrètement cet été a mis un terme à la “bourse au mérite”. Désormais, les critères d’éligibilité seront uniquement sociaux. A gauche comme à droite, la mesure divise et remet la notion de méritocratie au centre du débat.

histoire 1 La récente nomination de NajatVallaud-Belkacem à la tête duministère de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur dansle gouvernement VallsII aéclipsé certaines mesures prises par ses prédécesseurs, VincentPeillon et Benoît Hamon. Parmi elles, lenon-renouvellement du complément financier appelé “bourse au mérite”, que l’Etat allouait jusqu’ici à certains étudiants boursiers, a été publié discrètement au Journal officiel le24 juillet. Cetteaide va ainsi disparaître progressivement, au bout dequelques années, pour être redistribuée à tous les élèves boursiers, “uniquement sur descritères sociaux” d’après legouvernement.

I

ls ont décidé d’arrêter de récompenser la jeunesse qui travaille.” Elma n’a que 17ans, mais ses mots semblent tout droit sortis d’un discours politique. Il y a quelques semaines, la lycéenne a appris qu’elle ne toucherait pas la “bourse au mérite” qu’elle s’attendait à recevoir pour sa moyenne de 19,36/20 au bac. Jusqu’ici, l’Etat versait une aide de 1 800euros par an aux bacheliers boursiers qui avaient obtenu une mention très bien à l’examen national, ainsi qu’aux meilleurs élèves à l’université qui souhaitaient continuer des études après leur licence. Mais cette année, le ministère de l’Education a décidé de supprimer progressivement cecomplément, et de ne plus l’accorder aux nouveaux bacheliers. Elma est amère: “Ça a vraiment été unegrosse déception. Je m’étais dit que j’aurais cette bourse, et je comptais dessus pour financer mes études: 200euros parmois, ce n’est pas rien, surtout à Paris, où les loyers sont très élevés.” Près de 8 000étudiants boursiers ont, comme

elle, eu la mention très bien au bac cetteannée. Certains se sont regroupés grâce à une page Facebook nommée “Touche pas à ma bourse, je la mérite”, et ont lancé unepétition contre cette suppression, qui compte à ce jour plus de 7 000signatures. Si la bourse au mérite n’est plus versée aux nouveaux bacheliers, elle continuera toutefois à être distribuée aux étudiants qui la touchaient durant l’année 2013-2014. Le gouvernement avait déjà tenté delafaire disparaître l’an passé, mais avait décidé de repousser le dispositif à2014 face à une levée de boucliers ausein de l’opinion publique. Il faut dire que laméritocratie est un sujet sensible. Valérie Pécresse, qui avait élargi ledispositif à tous les élèves boursiers en 2009 alors qu’elle était ministre del’Enseignement supérieur, a été lapremière à s’indigner du retrait de ce complément financier, par un gazouillis assassin sur Twitter: “Effort, mérite, desmots qui dérangent ? #assistanat”. Ducôté du député UMP Eric Ciotti, on

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parle de la bourse au mérite comme de “l’expression de la méritocratie républicaine et la reconnaissance de l’excellence”. Les termes sont pompeux car lesymbole est fort. Alors que le 14juillet, François Hollande rappelait dans sonintervention qu’il comptait faire de la jeunesse une “priorité”, legouvernement fait disparaître une mesure dont bénéficiaient, en 2013, prèsde 30 000étudiants. Le ministère del’Enseignement supérieur assume pourtant cette suppression “inscrite dansla loi de finance 2014”, justifiant uneredistribution de ces 12millions d’euros économisés en 2014 vers latotalité des 650 000étudiants boursiers français. Une mesure issue de la grande réforme desbourses entamée par la ministre Geneviève Fioraso depuis 2012, qui avance unbudget de “457millions d’euros” injectés entre 2013 et 2015. “Evidemment, on ne se réjouira jamais de la suppression d’une bourse”, confie William Martinet, président du syndicat étudiant de gauche Unef, qui précise n’avoir pas participé aux discussions sur la suppression de la bourse au mérite. “Mais nous pensons que le gouvernement va dans le bon sens. Pour ce qui est des réformes des aides sociales, on préfère

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“le problème du mérite, c’est que personne ne sait ledéfinir” Marie Duru-Bellat, sociologue

que ce soit la situation des étudiants qui soit prise en compte, et non pas leurs notes. D’autant plus que la méritocratie, dans notre démocratie, c’est surtout lesymbole de l’injustice.” C’est-à-dire qu’elle profite aux catégories sociales les mieux dotées en capital culturel, celles qui vont en prépa par exemple. L’analyse est partagée par Marie Duru-Bellat, sociologue à Sciences-Po etauteur de Le Mérite contre la justice (Presses de Sciences-Po, 2009): “Leproblème du mérite, c’est que personne ne sait le définir. S’il y a de plus en plus dementions très bien au bac, c’est surtout parce que les jeunes accumulent les options pour l’obtenir !” Pourtant, dans ledébat public, il n’est pas de bon ton de remettre en question le mérite, à droite comme à gauche. “C’est consensuel, laméritocratie. Tout le monde s’y rallie, continue-t-elle,

c’est un critère flou mais pratique: dans la société, on est théoriquement tous égaux, pourtant il faut que certains décrochent des places plus attractives. Mais quand on regarde concrètement, les ‘méritants’ ressemblent souvent à leurs parents…” C’est contre cette reproduction sociale que le gouvernement a choisi de lutter, en supprimant progressivement cescompléments. Pourtant, la décision aquelque chose d’anecdotique, car leséconomies effectuées (12millions d’euros cette année) représenteront une goutte d’eau de l’investissem*nt de plus de 80millions d’euros injectés en 2014 dans la refonte des bourses sur critères sociaux. Un argument de plus dans labouche des boursiers qui s’opposent àsa suppression, comme Anna, en deuxième année de master à SciencesPo, qui a touché la bourse au mérite depuis son entrée dans lesupérieur. “Çafait toujours rire jaune, quand on nous parle de mesure symbolique. Oui, certains élèves qui latouchaient n’en avaient peut-être pas besoin pour survivre, mais moi je ne sais pas comment j’aurais fait sans. Et si c’est une goutte d’eau pour legouvernement, pour moi, cela faisait une vraie différence.” De l’écart entre lathéorie, et la pratique. Marie Turcan

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les bronzes de Riace

“comment ça les impôts ?”

retour de hype

la tournée européenne de Morrissey

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz “mais si, ça peut se jouer aussi sous la pluie la pétanque”

le tofu soyeux

les parapluies

la fin des Soprano

août

le Festival d’automne

Yelle

“moi aussi, je voudrais enlever Michel Houellebecq”

Marcel Duchamp –La peinture, même

“c’est pas vraiment la rentrée tant que j’ai pas remis des chaussettes”

le divorce de Neil Young

Marcel Duchamp –La peinture, même L’expo du Centre Pompidou, à partir du 24septembre. La tournée européenne de Morrissey passera en France, par Lyon et Paris en octobre. Les bronzes de Riace Doivent-ils quitter leur musée pour être montrés à Milan lors de l’Exposition universelle

“en même temps, c’est la saison des champignons”

de mai2015 ? Apre débat en Italie, qui permet de replonger dans le mystère de ces fascinants bronzes grecs découverts en 1972 au large des côtes calabraises. La fin des Soprano Sept ans après la fin de la série, son créateur David Chase a enfin répondu, pour Vox, à la question: “Tony est-il mort ?” D.L.

tweetstat Le transfert de Balotelli à Liverpool ? L’ex-Oasis, fervent supporter de Manchester City, l’a un peu mauvaise: Suivre

Liam Gallagher @liamgallagher

42 % Antigone

Who the f*ck is Mario Balotelli LG x 14:40 - 25 août 2014

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City ou la mort: Liam était fan de Balotelli quand celui-ci portait encore les couleurs des Citizens.

“Qui est ce putain de Mario Balotelli LGx”

37 % Arsène Wenger Dans un style un peu plus volubile.

21 % Joey Barton

Ex-joueur de Manchester City et génial bad boy du football.

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planches contacts Grosse actu parisienne pour Larry Clark qui dévoile son film tourné dans la capitale, expose à la Galerie du jour et solde une partie de ses archives pour ses fans français. Ce qui s’appelle être sous les feux de la rampe.

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du skate-park au musée Dans ce monde chaotique où tout va à vau-l’eau, unechose reste sûre: skate-park rime avec Larry Clark. Pour The Smell of Us, son dernier long tourné à Paris, iln’est donc pas étonnant de retrouver le photographeréalisateur sur un des spots les plus fréquentés

de la capitale. Projeté il y a quelques jours à Venise enavant-première mondiale, le film retrace l’histoire d’une bande d’adolescents traînant quotidiennement au Dôme, situé entre le musée d’Art moderne et le Palais de Tokyo.

2 3

et vice versa C’est pendant la rétrospective que lui a consacrée en 2010 le musée d’Art moderne de la Ville de Paris que Larry Clark découvre ce spot. Les jeunes gens faisant assaut d’acrobaties rappelle, entreautres, ceux de Washington Square, qu’il avait immortalisés dans son film culte, Kids. Il n’en faut alors pas beaucoup plus pour qu’un projet sur la jeunesse parisienne germe dans sa tête… Quatreans plus tard, à en croire ceux qui l’ont vu à Venise, The Smell of Us s’impose comme du Larry Clark pur. Existentiel, sensuel et puissant.

capture vidéo du trailer du film de Larry Clark The Smell of Us

1

3

tricks & treats C’est justement pour cette jeunesse que Larry Clark liquide cette semaine dans la capitale française une partie de ses archives personnelles. Parallèlement à l’exposition qui lui est dédiée à la Galerie du jour, une vente exceptionnelle se tiendra au Silencio (club parisien designé par David Lynch). Au programme: des clichés en couleurs (formats 10 x 15cm ou 13 x 18cm) réalisés entre 1992 et 2010 et vendus 100euros. Le tout à deux pas du street-park de la rue Léon-Cladel (ParisIIe). Diane Lisarelli

exposition They Thought I Were But I Aren’t Anymore…, du 13septembre au 25octobre à la Galerie du jour, 44, rue Quincampoix, Paris IVe ; et aussi vente de photos à 100euros du 5 au 9septembre, et carte blanche du 9 au 13septembre, auSilencio, 142, rue Montmartre, Paris IIe

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manque de délicatesse Auteur de comédies anecdotiques, David Foenkinos s’essaie à la profondeur avec Charlotte, roman sur une artiste morte à Auschwitz, mais échoue à s’acheter une crédibilité littéraire.

le sujet Grave. Pour donner d’entrée de jeu plus de solennité à son texte, David Foenkinos résume son livre en trois lignes qui tiennent lieu d’avertissem*nt: “Ce roman s’inspire de la vie de Charlotte Salomon. Une peintre allemande assassinée à 26ans, alors qu’elle était enceinte. Ma principale source est son œuvre autobiographique: vie ? ou théâtre ?” Dans Charlotte, le romancier retrace l’existence tragique de cette artiste à l’œuvre poignante, née dans une famille juive allemande aisée mais meurtrie par une série de deuils, de son enfance à sa mort à Auschwitz, en 1943. Dans ce récit, le “je” fait parfois irruption, celui de l’écrivain qui raconte sa découverte de Charlotte Salomon et met en scène son enquête dans les rues de Berlin ou dans le sud de la France où la jeune femme s’était réfugiée en 1939.

le souci La fausse simplicité de l’écriture, mais sa vraie naïveté. Le roman prend laforme d’un poème en prose, avec unesuccession de phrases courtes. Procédé que Foenkinos prend soin de justifier avec emphase: “C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne.” Soit. Plus gênant, alors que le style se veut sobre, les effets sont appuyés, parfois à grand renfort d’italiques, pour surligner une fulgurance, ou de références à Walter Benjamin et Aby Warburg en gage de sérieux.

Cela donne lieu au mieux à un lyrisme hyperconvenu du genre: “Elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses” ; au pire à une légèreté problématique, comme lorsque Foenkinos expédie en quelques mots la conférence de Wannsee où s’est décidée la solution finale. Sans compter les formules maladroites, voire douteuses, tel ce “J’étais un pays occupé” afin de décrire sa fascination pour l’œuvre de Charlotte Salomon. Plutôt malvenu.

le symptôme Celui d’une maladie assez répandue: “le roman de la maturité”. Habitué des bluettes, l’auteur de La Délicatesse veut prouver qu’il est capable d’autre chose. Tout son plan com est d’ailleurs centré sur ce changement de registre, censé surprendre. Si l’on ne met pas en doute la sincérité du projet, on peut penser qu’en s’emparant d’un sujet aussi tragique que la Shoah, Foenkinos cherche à s’acheter un “brevet de profondeur”, pour reprendre une expression de l’écrivain Yannick Haenel. Avant lui, Mazarine Pingeot ou Alexandre Jardin, par exemple, ont eux aussi tenté de gagner une respectabilité en abordant cette page de l’histoire. Mais comme le rappelait l’historienne Annette Wieviorka que nous avions interrogée sur le traitement romanesque de la Shoah, “sans travail littéraire, ni travail historique, le résultat est inconsistant.” ElisabethPhilippe

en chiffres

13

Le nombre de romans publiés par David Foenkinos depuis 2001, parmi lesquels LePotentiel érotique de ma femme (2004) qui le fait connaître du grand public, LesSouvenirs et Je vais mieux. S’ajoutent à cela des textes pour la jeunesse et des contributions à des ouvrages collectifs.

1100 000

C’est le nombre d’exemplaires (poche et grand format) vendus de La Délicatesse, sorti en 2009. Avec ce livre, qu’il adaptera au cinéma avec son frère Stéphane, Foenkinos s’impose comme un auteur français bankable, traduit en une quarantaine de langues.

60 000

Loin derrière Amélie Nothomb et les 200 000 exemplaires de son Pétronille, Charlotte est tiré à 60 000 exemplaires, ce qui permet tout de même à Foenkinos de figurer parmi les mastodontes de la rentrée aux côtés d’Olivier Adam avec Peine perdue (85 000) ou de Frédéric Beigbeder et son Oona &Salinger (120 000).

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la fabrique des rêves En stimulant des zones précises du cerveau, des neuroscientifiques ont réactivé la conscience de cobayes endormis. Ces derniers ont ainsi pu prendre les commandes de leurs rêves.

A

près avoir lutté à mains nues contre une demi-douzaine de vampires, tranché violemment à la hache les têtes d’une horde de zombies affamés et semé un loup-garou particulièrement irrité dans une course folle à travers une forêt obscure, voici que se profile une jolie clairière fleurie, baignée de soleil. Il y coule une rivière tranquille et des flots de miel et de vin jaillissent d’une fontaine en or. On va pouvoir souffler. Mais une voix retentit soudain à l’orée de ce paradis: “Salut les campeurs! Et haut les cœurs, il est six heures !” C’est le radioréveil qui, fidèle à sa mission, sonne le clairon et mêle la voix du speaker à une sonnerie stridente (mais efficace). La balade onirique s’est terminée avant son heureuse résolution. Des chercheurs allemands qui se lèvent tôt ont décidé de s’attaquer à la désagréable passivité dont tous les rêveurs sont les victimes. Selon la revue Cerveau et psycho, ces scientifiques ont identifié une zone du cerveau qui, une fois stimulée par un courant électrique, permet de réactiver la conscience du dormeur sans interrompre son rêve. Dans ce sommeil éveillé, se produit alors une expérience de rêve lucide, la capacité de maîtriser son rêve. Voler, surfer, buller… L’endormi prend le contrôle de son rêve et peut modeler l’environnement à son gré, faire apparaître les personnages qu’il désire dans la trame de l’histoire qu’il écrit au fur et à mesure que le rêve avance.

Il ne s’agit que de tests en laboratoire, mais le principe fonctionne. Peut-être pourrons-nous bientôt nous procurer un système de rêve lucide à domicile. Intégré dans l’oreiller, la machine se déclenchera sitôt que son propriétaire entrera dans la phase du sommeil propice aux rêves. A la fois scénariste et réalisateur, chacun pourra vivre une manière de vie secondaire à la nuit tombée et reprendre la trame de cette existence là où il l’avait laissée la veille. Sauf que cette fois, c’est nous qui conduirons. Responsable du guichet des cartes grises le jour, capitaine corsaire parcourant les sept mers, le soir. Alors, qui pourra faire la différence entre la vie réelle et celle rêvée, créée de toute pièce par notre cerveau ? L’individualisme aura atteint son but ultime: chacun sera le démiurge de son monde à lui, maître de cet univers intermittent. Mais la technologie n’est jamais infaillible et le cerveau un organe sensible et délicat. De temps en temps, le système se détraquera et bloquera l’utilisateur dans son illusion, enfermé à perpétuité dans un monde à dessiner lui-même, Dieu de son paradis artificiel. La vie comme on la rêve. Nicolas Carreau illustration Jeremy Le Corvaisier pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin Conférence d’un spécialiste du rêve lucide youtube.com/watch?v=p1i6A7t6L2g

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Eva Bester

Le dimanche matin sur France Inter, cette chroniqueuse exorcise la mélancolie de ses invités.

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u cours des récentes soirées estivales, il n’y eut rien d’aussi doux à écouter que son émission Remède à la mélancolie pour échapper au spleen qui submerge, à la tombée de la nuit, ceux pour qui le besoin de consolation est impossible à rassasier. Désormais installée le dimanche matin, Eva Bester, qui a débuté il y a trois ans sur France Culture et France Inter, mais aussi à la télé en 2012 (28minutes sur Arte), pérennise ses remèdes réconfortants: des conversations délicates avec des artistes et auteurs confessant ce à quoi ils s’accrochent pour s’extraire de la tristesse qui les

traversent. De David Boring, chanteur des Naive New Beaters, à Michel Schneider, d’Hélène Cixous à Wendy Delorme, ses conversations illustrent sa complicité avec des existences aspirées par ce qui les grandit et les sauve: livres, films, chansons… De sa voix soyeuse, entrelaçant attention empathique et fantaisie joyeuse, elle sait transformer une conversation secrète en bonheur d’être triste. Jean-Marie Durand photoNicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles Remède à la mélancolie, tous les dimanches, 10 h, France Inter

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une rentrée 2014 Alt-J toujours plus haut, Allah-Las jamais las, Death From Above 1979 sait suer, JJ souffle le chaud et le froid, Fyfe roule pour la soul, Christopher Owens chante de la country… 1. Alt-J Left Hand Free

9. Childhood As I Am (radio edit)

extrait en avant-première de l’album This Is All Yours (Infectious/Pias) Suite à l’acclamé AnAwesome Wave, les Anglais d’Alt-J frappent encore plus fort, imposant un grand huit vertigineux à leur habile songwriting.

extrait de l’album Lacuna (Marathon/Pias) Le premier album de ces Londoniens prometteurs déploie une clarté solaire qui pourrait illuminer l’automne. Voire réchauffer l’hiver.

2. Allah-Las Had It All extrait en avant-première de l’album Worship the Sun (Innovative Leisure/Because) Had It All réussit l’exploit d’évoquer à la fois les caves encrassées et le soleil californien: le son brut et nostalgique de l’Amérique profonde.

10. Erland & The Carnival Birth of a Nation extrait de Closing Time (Full Time Hobby/Pias) Entre pop, folk et rock, ces Anglais continuent d’explorer leur univers luxuriant, à l’image de ce Birth of a Nation fouetté par le vent.

11. Rich Aucoin Are You Experiencing? 3. Death From Above 1979 Trainwreck 1979 extrait en avant-première de l’album The Physical World (Fiction/Caroline/Universal) Il y a dix ans, le duo canadien DFA 1979 faisait dans les salles de muscu. Reformation (après la parenthèse MSTRKRFT) et retour en forme: leur rock va encore faire transpirer la planète.

4. JJ All Ways, Always extrait de l’album V (Secretly Canadian/Pias) Sur ses précédentes sorties, le mystérieux duo suédois envisageait de prolonger la banquise jusqu’à Ibiza. Réchauffement confirmé avec les guitares tourmentées de All Ways, Always.

5. Fyfe Solace extrait du premier album à venir (Believe) Révélation de la nouvelle soul anglaise venue de Londres, Fyfe prépare un premier album sur lequel on retrouvera ce Solace en clair-obscur.

6. Christopher Owens NothingMoreThan Everything to Me extrait de l’album A New Testament (Caroline/Universal) En vacances de son groupe Girls, le beau gosse (ex-égérie YSL ou H&M) s’adonne à la musique d’homme, la country, et c’est réussi, yeeeha.

7. Jean-Louis Murat J’ai fréquenté la beauté extrait en avant-première de l’album Babel (Pias) Le nouveau Murat est double, réunissant vieux titres et inédits façonnés avec d’autres bienfaiteurs auvergnats (The Delano Orchestra).

8. Arthur H Le Tonnerre du cœur (feat. Patrick Watson) extrait en avant-première de l’album Soleil dedans (Polydor/Universal) En duo avec le Canadien Patrick Watson: extrait humide et à la dérive d’un bel album qui repousse l’horizon musical d’Arthur H.

extrait en avant-première de l’album Ephemeral (Platinum) Grand zinzin canadien qu’on suit depuis un moment, Rich Aucoin sera de retour à l’automne avec un nouvel album où jubile ce single.

12. Bikini Machine Everybody’s in the Know extrait de l’album Bang on Time! (Yotanka) Le rock désinhibé des Rennais dépasse largement les limites de vitesse autorisées pour filer en trombe vers l’efficacité pure.

13. Chapelier Fou Tickling Time (feat.Gérald Kurdian) extrait en avant-première de l’album Deltas (Icid’Ailleurs) Le Messin poursuit ses jeux de frottements entre electro enchantée et lyrisme capiteux, avec son complice de This Is The Hello Monster.

14. Years & Years Take Shelter (radioedit) extrait en avant-première de l’ep Take Shelter (Mercury/Universal) En short et tout sourire, le chanteur/acteur Olly Alexander reste, malgré une voix miraculeuse de diva soul, l’un des trésors les plus étonnamment cachés d’Angleterre. Plus pour longtemps.

15. Camp Claude Trap extrait de l’ep Hurricanes Rythmes accrocheurs et voix ensorceleuse, impossible de ne pas tomber dans le piège de cette finaliste du concours Sosh aime les Inrocks Lab: Trap est un tube imparable. le coup de cœur inRocKs lab & Sosh

16. Basem*nt Jaxx Never Say Never (radio edit) extrait de l’album Junto (Pias Coop) Dans le clip de Never Say Never, des robots font du twerk: l’exacte illustration de l’ambivalence d’un groupe qui allie avec brio robotique et sueur.

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style

où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

sous terre, sur un skate

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com

Logée dans un tunnel partant de Waterloo Station, à Londres, cette rampe de skate indoor est une des pièces fortes de la nouvelle House of Vans. Ouvert depuis la mi-août, cet espace souterrain comprend également un bar, un barbier, un atelier nail-art, un cinéma et une salle de concerts pouvant accueillir huit cent cinquante personnes. Littéralement underground. houseofvanslondon.com

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chez Dominic Kesterton On aime les T-shirts très graphiques et faussem*nt naïfs, au style très post-Memphis, imaginés par ce designer d’Edimbourg. Dominic Kesterton, qui édite aussi ses propres fanzines, les vend via son site personnel. dominickesterton.tumblr.com, halfjoyed.com

en 69 “Un symbole qui représenterait chacun d’entre nous”: c’est ainsi que son créateur, qui tient à l’anonymat, définit 69, la marque de denim la plus branchée du moment. Basée à LosAngeles, elle plaît tant pour son positionnement (unisexe), que par son design qui infuse une touche de contemporain à la toile bleue. sixty-nine.us 3.09.2014 les inrockuptibles 37

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vous n’y échapperez pas

la tendance afropolitaine La mode africaine n’a jamais été aussi visible, notamment grâce à une nouvelle génération de créateurs d’Afrique du Sud.

U

ne veste d’homme sur une robe fluide, le tout illuminé d’imprimés futuristes: cette jeune femme évolue sur le podium d’un pas affirmé, enveloppée dans un chic profondément cosmopolite. Sa tenue est une création du designer sud-africain Hugo Flear, présentée lors de la semaine de la mode de Cape Town mi-juillet. On le compare à Mary Katrantzou: comme la styliste grecque en vogue, sa maîtrise de l’impression 3D lui permet de produire des motifs géométriques en trompe l’œil. Plutôt que de s’inspirer de jungles imaginaires ou de science-fiction, Hugo Flear met sens dessus dessous l’artisanat africain. Les fashionistas locales reconnaîtront effectivement des détails détournés de l’imprimé textile traditionnel bogolan, que l’on trouve notamment au Mali. “Sa mode est l’exemple parfait de ce qu’on appelle ici ‘afropolitan’, ou l’Afrique cosmopolite, déclare Kyle Boshoff, acheteur pour l’AFI (African Fashion International, qui promeut la visibilité de la mode africaine dans le monde). Il s’agit d’apporter une pensée cosmopolite à une esthétique africaine: on remet à jour des détails et des pratiques artisanales, en les passant à travers un filtre contemporain à la pertinence globale.” De fait, Flear appartient à une génération refusant une représentation postcoloniale du continent. Ces jeunes créatifs repensent ainsi la relation entre l’Afrique et l’Occident, tout en se créant une place

Modèle de la marque Akedo par Eleni Labrou

à part entière dans la mode. Dans la même veine, Eleni Labrou et sa marque Akedo remixe les imprimés ghanéens kente avec un lettrage évoquant les graffitis colorés des rues de Johannesburg. On peut aussi penser à Nicholas Coutts et son office wear conceptuel aux teintes vives inspirées par la nature sud-africaine ou encore à la Ghanéenne Duaba Serwa et ses robes de co*cktails en traditionnel tissu batik. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud abrite une bourgeoisie grandissante et un système bancaire plus stable que jamais. Cette génération de créateurs âgés de 20 à 30ans ne se souvient pas du monde scindé dans lequel elle est née. Fil par fil, elle façonne un pays à son image, multiculturel, idéaliste et toujours à la pointe. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient: la baignade dans l’étang

1940 Dans Fantasia de Walt Disney, le spectateur assiste à la baignade d’une jeune centauresse au son de Beethoven. Dans ce monde peuplé de pégases, d’anges ailés, et avec Jupiter lui-même, le personnage chimérique et coquet présente une féminité docile, construite en opposition à la virilité guerrière des personnages masculins. Est-ce si étonnant en 1940 ?

2002 Virginia Woolf (ici interprétée par Nicole Kidman dans The Hours de Stephen Daldry) se suicide en entrant dans un étang les poches remplies de pierres qui la tirent inévitablement vers le fond. Sa mort évoque la noyade d’Ophelia dans Hamlet de Shakespeare: jeune, amoureuse et fatalement torturée par son rôle de femme.

2014 Dans la campagne du parfum Black Orchid, la top Cara Delevingne invoque également la figure d’Ophelia –précisément son portrait par le peintre préraphaélite John Everett Millais (1852). Mais son regard langoureux raconte une autre fuite: celle de son enfance et de son innocence, en route pour un monde adulte et sexué. A.P.

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hot spot

C

’est la bonne surprise de cet été pourri, le bistrot qui met du baume au ventre quand il pleut sur la ville. Le Clown Bar, ex-buvette du Cirque d’hiver des Bouglione, aété repris par le duo deSaturne Sven Chartier et Even Lemoigne, épaulé par Xavier Lacaud. En cuisine, Atsumi Sota, que l’on a croisé chez Vivant époque Pierre Jancou, et qui a officié chez Troigros, Robuchon, au Stella Maris et chez Toyo. Atsumi Sota propose une cuisine de marché, pleine d’envolées. En guise de mise en bouche, on déguste un jambon d’épaule Basatxerri de vingt-quatremois, des bulots en beignet et des croquettes de camembert saupoudrées de fleurs de thym fraîches. En entrée, grand retour de la feta avec une salade tomate fraise sublime parsemée de pétales blancs d’un fromage longtemps éclipsé par la burrata… qui s’est glissée dans un tartare de bœuf oignon pickle goûtu. Le plat, un ris de veau, brocoli accompagné de moules enfriture, étonne et frappe juste. Au plafond, des céramiques de Sarreguemines de clowns et d’augustes du début du siècle vous narguent. A la carte, le vin est forcément “nature” et offre ce qui se fait de mieux. La cuisine du Clown Bar n’élude aucun tour à la mode (fumé, friture, petites fleurs…) mais les alliances et assortiments sont tellement audacieux, excitants et bien exécutés qu’on applaudit des deux mains. Compter entre 30euros (sans vin) et 50euros par personne.

Anne Laffeter Clown Bar 114, rue Amelot, ParisXIe, tél. 01 43 55 87 35, fermélundi et mardi

bouche à oreille

la folie boutargue Focus sur ces poches d’œufs de mulet séchés, shoot d’iode surnommé le caviar de la Méditerranée.

A

première vue, une forme oblongue recouverte d’une cire grise peu engageante. Al’intérieur, des œufs de mulet séchés d’une jolie couleur orangée. Ce mets ancestral était à l’origine consommé autour du Bassin méditerranéen. Aujourd’hui, les Japonais et les Taïwanais en ont fait un plat de luxe, servi lors des mariages. En France, c’est à Martigues (Bouches-du-Rhône) que l’on produit la poutargue (en Provence le “p” remplace le “b”). Les pêcheurs ouvrent les mulets en deux sitôt pêchés pour en retirer délicatement les rogues (poches d’œufs), qui sont ensuite salées, séchées au soleil et dégustées en tranche sur du pain avec un filet d’huile d’olive. La production est faible et la consommation très locale. En banlieue parisienne, La Saumonerie de Choisy, entreprise familiale d’une cinquantaine de personnes, produit saumon, œufs de poissons et boutargue. Les rogues sont importées essentiellement du Brésil, mais aussi de Floride ou de Mauritanie. LaurentBenabou, le directeur, s’est mis en tête de fabriquer de la boutargue il y a dixans. Il en vend aujourd’hui quinze tonnes, contre cinq il y a cinq ans. “Il y a dix ans, lorsque je ramenais de la boutargue dans

ma belle-famille juive tunisienne, personne n’en voulait. Aujourd’hui il n’y a pas une semaine où un ami d’un ami ne m’appelle pour que je lui en ramène.” Les chefs se sont mis à la cuisiner: Erica Archambault à la tête du branché Clamato, “succursale poisson” du restaurant Septime à Paris, l’utilise pour amener “de la mer, de l’iode, dans ses plats de légumes”. Comment reconnaît-on de la bonne came ? “Tout part de la qualité des œufs”, explique Laurent Benabou. “C’est très important que la poche soit vite sortie dupoisson et vite conditionnée après lapêche. Il ne faut pas trop la sécher pour qu’elle ne soit pas marron et dure mais moelleuse et orangée.” Il a, au Brésil, unréseau de pêcheurs capables derespecter ses conditions. Mais la concurrence est rude. “Au Brésil, des Chinois arrivent avec des valises de billets et achètent aux pêcheurs tous leurs stocks avant même qu’ils partent enmer.” Lecaviar de la Méditerranée pêché dansl’océan Atlantique(!) a donc un prix: il est vendu entre 100 et 130euros le kilo. Benabou imagine des boutargues vendues prétranchées sous vide ou marinées. La boutargue, nouveau saucisson de luxe pour l’apéro ? ZazieTavitian

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le jour J Sur un deuxième album inclassable et passionnant, les Anglais d’Alt-J continuent de casser les règles du songwriting pop. En limitant, cette fois, l’usage de l’électronique. Et ce n’est pas fini: ils ont tout planifié sur dix ans. par Johanna Seban photo Vincent Ferrané pour LesInrockuptibles

I

l y a deux ans, on découvrait un raccourci sur les claviers “qwerty” des ordinateurs à pomme: en appuyant simultanément sur les touches “alt” et “J”, on obtenait un triangle. La combine, certes rarement utile au quotidien, nous était apparue par le biais d’un groupe de pop anglais, Alt-J, formation créée sur les bancs de la fac de Leeds une demi-douzaine d’années auparavant. Initialement, les étudiants avaient eu la mauvaise idée de se baptiser Films. Confondu avec les Américains TheFilms, le groupe s’était finalement rabattu sur Alt-J (prononcer “alt jaaay”). Quarante et un ans après celle qu’avait engendrée la pochette de TheDark Side of the Moon de Pink Floyd, 2012 fut donc, du côté de l’Angleterre, une nouvelle année du triangle. Hissant son premier album An Awesome Wave au sommet des palmarès, Alt-J clôtura 2012 en beauté en remportant le prestigieux Mercury Prize. “Cette année fut incroyable pour nous, se souvient le chanteur Joe Newman, quand on rencontre le groupe dans un hôtel

Le nouvel Alt-J, passé de quatre à trois membres: Gus Unger-Hamilton, Joe Newman et Thom Green, habillés en Paul Smith

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parisien au début de l’été. Nous l’avons commencée dans un petit van et terminée dans un tour-bus professionnel. Nous avons fait quatre tournées aux Etats-Unis. On nous a souvent demandé si nous avions eu l’impression de perdre pied. Mais les choses se sont faites progressivement, et c’est seulement de l’extérieur que notre éclosion a semblé rapide. C’est comme lorsqu’enfant, vous ne voyiez pas votre grand-mère pendant un an. Au moment des retrouvailles, vous lui sembliez avoir énormément grandi, ne plus être ce garçon qu’elle avait quitté un an plus tôt. Vous aviez pourtant le sentiment d’être resté le même.” Entre An Awesome Wave et This Is All Yours, deuxième chapitre de sa discographie qui paraît ces jours-ci, Alt-J n’est pourtant pas tout à fait resté le même. Il a quitté la sombre cité industrielle du Yorkshire pour s’installer à Londres. Initialement quatuor, le groupe est devenu trio suite au départ de Gwil Sainsbury. Lassé de la vie en tournée, épuisé par la promotion qu’impose le succès, celui qui officiait comme guitariste et bassiste a écrit une lettre à chacun de ses partenaires où il formulait son souhait d’en rester là. Dans la plupart des cas, le départ d’un musicien entraîne un nouveau casting. Chez Alt-J, non. “Nous ne sommes pas le genre de groupe qui va chercher un nouveau bassiste si celui-ci s’en va. On va plutôt s’accommoder de cette nouvelle situation, repenser la géométrie du groupe. On redistribue les rôles, on se débrouille pour jouer la basse avec la main gauche sur un clavier.” Une nouvelle histoire de raccourci clavier en somme. Parce qu’elle est faite d’ascensions fulgurantes et de dégringolades soudaines, parce qu’elle braque sur ses protagonistes des projos aveuglants, l’histoire du rock regorge de séparations, de départs, de musiciens qui craquent. A ce scénario classique s’ajoute, chez les jeunes groupes consacrés, celui de l’inévitable trouille de décevoir au moment du deuxième album. Là encore, Alt-J et son chanteur n’y ont pas échappé: “Après le succès du premier

Le chanteur Joe Newman

album, on s’est sentis très puissants. On a eu envie d’en profiter, de tourner le plus possible, de rencontrer des gens. Puis l’idée d’un second disque est venue et j’ai commencé à avoir peur. J’avais l’impression de nager dans la mer: c’était très agréable mais parfois je traversais des eaux plus froides. Les choses se sont davantage compliquées lorsque j’ai perdu le carnet où j’avais écrit toutes mes notes pendant neuf mois. Nous étions en tournée en Russie: je ne sais pas si je l’ai perdu là-bas ou à l’aéroport où on m’a demandé d’ouvrir ma valise. Toujours est-il qu’une fois arrivé chez moi, il n’était plus là. Neuf mois d’idées, de textes,

d’images perdues à jamais. Il m’a fallu du temps pour me remettre à écrire.” Lorsqu’il décide de relancer la machine, Newman a conscience que son groupe est attendu au tournant. L’époque est dure: elle sacre ses héros pour mieux les enterrer la semaine suivante, leur trouvant des remplaçants en quelques clics. Les gagnants ayant tout à perdre, Newman sait que le salut du groupe passera par la patience et la réflexion. “Le succès a changé la donne, créé de nouveaux enjeux. Avant, on faisait des morceaux sans réfléchir. Cette fois, il a fallu trouver une façon de conserver une certaine cohérence tout en continuant

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“Le succès a changé la donne, créé de nouveaux enjeux. Avant, on faisait des morceaux sans réfléchir” Joe Newman

à surprendre les gens. C’est un numéro d’équilibriste. Si vous vous répétez, les gens diront que ça ne sert à rien et ils auront raison: vous n’aviez qu’à mettre vingt-huit morceaux sur votre premier disque. Au contraire, si vous changez radicalement, ils ne retrouveront plus la raison qui les avait fait vous aimer. Il nous a fallu être funambules.” Le groupe se retrouve d’abord, pour des sessions d’écriture, dans un ancien bâtiment industriel de Hackney, quartier de l’est londonien. L’immeuble a été reconverti en espace artistique: dans les pièces attenantes, on monte des films, on organise des expositions, des performances visuelles. Le thème de l’album apparaît bientôt à Newman comme une évidence: This Is All Yours évoquera les histoires d’amour, qui finissent mal en général. “Sans composer un album autobiographique, j’ai voulu m’inspirer de ce que j’avais traversé pour évoquer l’amour dans tout ce qu’il a de fragile: ses faiblesses, sa disparition, le chaos qu’il laisse derrière lui… Je ne pense pas que la musique puisse guérir totalement les gens, elle ne changera pas ce qu’ils ressentent. Mais elle aide à se sentir moins seul. Par exemple, la reprise d’Hallelujah par Jeff Buckley est une chanson qui m’a aidé dans la vie quand j’en ai eu besoin. Je m’en suis servi de façon médicinale, elle était si belle que j’en oubliais ma tristesse.” Une fois les chansons écrites, Alt-J retrouve le studio de Brixton, où il avait réalisé son premier disque –modeste, pas cher, à des annéeslumières des studios froids et techniques que lui ouvrait le succès mais que le groupe a préféré fuir. Alt-J y enregistre une quinzaine de morceaux: treize feront This Is All Yours. Dès ses premières secondes, sur une Intro magistrale, le ton est donné: l’album sera voltigeur, allant et venant entre le ciel et la terre, la glace et les flammes. S’il commence ainsi avec des chœurs aériens, bientôt des guitares d’outre-tombe et une voix souterraine viennent leur déclarer la guerre. Cette lutte-là, ce jeu des contraires font l’identité du disque: on y entend des beats côtoyer de vrais

applaudissem*nts, des flûtes médiévales se frotter à des machines. Très bristolien, le disque emprunte à l’indolence du trip-hop –on pense à Portishead sur l’envoûtante Hunger of the Pine, construite autour d’un sample de Miley Cyrus et qui s’achève sur une citation en français du poème L’Espoir en Dieu de Musset. Le cœur est peut-être brisé, mais les chœurs, eux, sont en forme olympique, notamment sur Arrival in Nara et Nara, deux titres spectaculaires inspirés par les questions des droits hom*osexuels et du mariage gay. “Nara est une ville du Japon où les daims circulent librement. Nous n’y sommes jamais allés mais nous l’avons fantasmée et avons voulu en faire une métaphore pour évoquer la liberté.” Ceux qui cherchent le tube, en revanche, repartiront bredouille: comme sur In Rainbows de Radiohead, que le groupe citera plusieurs fois en référence, Alt-J décompose autant qu’il compose, déstructure et casse les règles du songwriting. Sur Warm Foothills, il pousse plus loin l’expérimentation, invitant du beau monde (Lianne La Havas, Conor Oberst de Bright Eyes, Marika Hackman et le Londonien Sivu) à se partager les paroles de son morceau. Résultat: aucun des mots qui se suivent ne sont chantés par la même personne et le puzzle est fascinant. En marge de son album, Alt-J a signé la BO du film Leave to Remain du Britannique Bruce Goodison. Le groupe a ainsi trouvé la possibilité de s’affranchir encore davantage des formats du songwriting. “La liberté artistique n’est pas venue avec le succès, elle faisait partie de notre ADN. C’est impossible pour nous de décrire notre musique, de la circonscrire. Cet éclectisme est sans doute propre à notre génération: nous avons grandi avec internet et avons une culture plus vaste, moins spécialisée que les jeunes d’autrefois. Continuer à faire une musique inclassable, se moquer des codes, refuser les identités, voilà ce que nous aimerions faire ces dix prochaines années.” Beau programme. album This Is All Yours (Infectious/Pias) concert le 29 septembre à Paris (Casino de Paris) altjband.com 3.09.2014 les inrockuptibles 45

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Derrière le cryptique JJ se cachent les post-hippies patchouli Joakim Benon etElin Kastlander

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le jour JJ Le mystérieux duo suédois JJ emberlificote le sens et les sons avec une electro aussi suave que mélancolique, tropicale que glacée. On a suivi ces utopistes chez eux, à Stockholm. par JDBeauvallet

X Malin Bernalt

X + JJ. C’était, en 2010, l’affiche qui affola les campus américains lors d’une tournée commune. Sans se connaître, les deux groupes, l’un anglais, l’autre suédois, venaient de replacer le mystère, la disparition, l’absence au centre du jeu pop, saturé en informations et vantardises depuis l’avènement des réseaux sociaux. Ils partageaient aussi un sens aigu de l’abandon, de la démission: la course des rats devait se passer de ces groupes lents par décision politique, rebelles sans slogans, sans cris. Musique de crise –et pas de rire. On ne le savait pas encore tant le groupe s’était effacé derrière son nom-logo, mais JJ était un duo de Vallentuna en Suède, composé d’Elin Kastlander et Joakim Benon. D’eux, on ne connaissait alors qu’une poignée d’ep et d’albums numérotés inlassablement: jjn° 1, jj n° 2, etc. Mais derrière la rigueur mathématique, l’esthétique clinique, on avait très tôt appris à prendre le pouls d’un cœur qui, certes, battait au ralenti, mais irriguait fertilement un dub livide, un r’n’b délavé, une electro aussi languide que glaciale, aux rythmes évaporés souvent. Alors que sort l’album V, suite illuminée de leur symphonie infinie, de leur chantier permanent, onrencontre le duo à Stockholm, au festival Yard. Pour cet étrange raout electro, il faut d’abord traverser un fatras d’usines et de hangars abandonnés avant de se retrouver miraculeusem*nt dans un fjord bucolique. JJ est invité sur scène par la passionnante rappeuse locale Silvana Imam. Militante lesbienne, proche du parti féministe en course pour les prochaines élections générales (qui consistent au renouvellement des membres du Parlement), elle a rassemblé dans son barnum possédé et surexcitant une poignée de chanteuses et rappeuses aussi délurées que teigneuses. 3.09.2014 les inrockuptibles 47

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Malin Bernalt

d’abord dans un village de la forêt suédoise, puis en Arabie saoudite, où mes parents avaient déménagé… Toute ma vie, j’ai tenté de vaincre ce sentiment d’isolement, de solitude: je me suis forcé à jouer au hockey, au football, jusqu’à devenir capitaine de l’équipe, à être affable à l’école, à monter des groupes, dès mes 12ans… Alors qu’au fond, je suis fait pour être seul. Mais j’ai pris cette décision de rejoindre le monde et mes congénères. Je dois m’y tenir.”

Parmi elles, Elin de JJ fait un peu fille sage, murmurant magnifiquement un folk spatial sur des beats autrement plus aiguisés. “Chanter est pour moi une extase, un plaisir physique”, nous dira-t-elle. Après ce concert enthousiasmant, on perd le duo de vue. Déguisés en hippies patchouli, ils sont pourtant, dans cette foule de hipsters, très reconnaissables. Ilspourraient également être trahis par leur démarche pour le moins instable: visiblement, JJ a abusé du jaja et c’est pas jojo. C’est en retrouvant Joakim Benon le lendemain, dans un bar pour papys cool de sa banlieue, qu’on se rend compte que l’instabilité est une seconde nature. Il est 15heures, son breakfast hagard se compose de frites, de bière et de vin blanc. On constate aussi qu’il n’était pas déguisé sur scène: on croirait voir Janis Joplin –dont les initiales font un très beau JJ. Mais il répond que le nom vient de l’époque où le groupe était encore un bizarre et très intense triangle amoureux, baptisé pour cette raison Jules &Jim –qui deviendra JJ pour offrir le moins d’indications possible. “Nous n’avons jamais planifié le mystère, mais la neutralité du nom et de nos titres a donné naissance à tous les fantasmes, toutes les projections. Chacun y voyait ce qu’il voulait. Nous nous sommes bien gardés d’intervenir. Le public n’avait que la musique, rien qu’elle, pour juger JJ: nous avons laissé place à l’imagination. Chacun peut se servir de notre musique pour s’explorer.” Et l’exploration de l’intime, en des rituels qui font passer la méditation pour un sport de combat, Joakim la connaît sur le bout des doigts: pas étonnant que sa musique soit aussi contemplative, aussi intense également. Car Joakim n’est pas vraiment des nôtres. Il est un drop out, celui qui rêve de “faire partie” mais demeure un éternel solitaire –et cet isolement, cette autarcie s’entend dans cette musique, qui fait mentir le vers ancien du poète John Donne: “Aucun homme n’est une île”. “J’ai reçu une éducation bizarre,

Ses yeux se troublent lorsqu’on lui demande s’il regrette parfois: “Souvent, j’ai envie de disparaître. Le monde me fait trop de mal.” Il remonte ainsi le fil des frustrations, des divorces, s’arrêtant sur un jour précis où quelque chose s’est résolument cassé entre lui et l’enfer des autres. “C’était à l’école, un prof a enregistré la chorale et tout le monde s’est moqué de moi en réécoutant la bande, sur laquelle je chantais à tue-tête… Je n’ai plus jamais chanté. J’ai réessayé avec mon premier groupe, mais je me suis retrouvé totalement prostré.” Ça ne l’empêche pas de jouer dans des groupes lycéens, qui reprennent Rage Against The Machine ou Nirvana. Et de croiser, à la Maison des Jeunes, Elin, une guitariste punk qui dit de lui aujourd’hui: “Je le haïssais, il semblait inculte. Il était cool et populaire. Tout ce que je n’étais pas.” Elle accepte pourtant l’invitation de Joakim quand, en terminale, il choisit comme projet éducatif l’écriture, l’enregistrement et la mise en images d’une chanson. Pour la première fois, il travaille sans groupe, sur ordinateur, et c’est une libération. “Jen’avais plus à expliquer le son dont je rêvais à d’autres musiciens: juste à le créer seul. La voix d’Elin était la pièce manquante de mon puzzle. Depuis, je travaille seul, sans répit, sans retenue: j’ai récemment confié à mon frère une valise qui contient des centaines d’enregistrements, au cas où il m’arriverait quoi que ce soit. Mais je n’oublierai jamais ce premier enregistrement avec Elin, ce soulagement, cette révélation. Je n’avais jamais éprouvé une telle énergie, une telle lumière. Soudain, je parvenais à matérialiser tout ce que je ressentais depuis l’enfance.” On lui demande de préciser et sa réponse, bouleversée, en dit long sur les racines profondes de ces chansons, entrelacs de mélancolie, de liberté, de puissance diffuse, confuse, de violence enfouie sous l’oreiller. “J’étais tellement outré, exaspéré par le monde, les adultes, que le punk-rock a été mon refuge. J’ai ainsi grandi avec la certitude qu’une chanson avait un rôle, qu’elle devait changer le monde. Aujourd’hui, je lui demande de me changer: ce n’est plus la même vision de la révolution. Mais JJ demeure un groupe politique, nous appelons à la libération des esprits, au refus des ordres, des diktats, des jugements, du matérialisme. La révolution n’est plus dans ce romantisme de l’affrontement, mais dans l’accomplissem*nt personnel. Je veux essayer d’éclairer le chaos qui m’entoure. Jesuis vivant quand je crée de la musique.”

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“nous appelons à la libération des esprits, au refus des ordres, des diktats, des jugements, du matérialisme” Joakim Benon

Sur l’extatique V, album encore plus savamment simple et insensible aux modes et époques que ses prédécesseurs, plus insidieux, on entend Elin chanter, en résonance d’une vieille scie sixties, cette ligne terrible: “C’est ma fête et je pleurerai si j’en ai envie”. Voilà la parfaite description de cette musique, libre de ses mouvements, capable en un battement de cils boudeur de passer des beats house languides au spleen suédois, des Baléares à Bergman. “Ici, en Suède, on n’échappe pas à la mélancolie… C’est une vieille complice qui nous accompagne depuis des siècles”, confirme Joakim. Pourtant, cette musique vaporeuse, irréelle, utopique, gazeuse à la base, souvent uniquement rattachée à la vie par les beats, devient de plus en plus tangible au fil des ans. Elle se fait aujourd’hui ouvertement pop sur un All Ways, Always aux guitares tourmentées, qui a fait dire à la mère de Joakim: “Incroyable, vous avez enregistré une vraie chanson !” Mélangeant tendresse et excitation, Joakim parle avec une passion identique des productions désossées

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du rappeur américain Young Thug ou de ses instruments, avec lesquels il converse, comme sa kora. Il le fait avec douceur, les autres tables du café l’écoutent, se demandant qui est ce doux illuminé téléporté de HaightAshbury (San Francisco). “Quand j’étais ado, on faisait des fêtes où on matait le DVD de Woodstock… Je viens de là, de cette énergie, de cet amour, de ce sentiment de liberté…” Joakim, c’est ainsi le “endless summer of love”, pour réunir en une seule expression deux belles illusions des années hippies. Quand, évoquant sa musique, on lui parle d’utopie, le mot l’enchante et il révèle alors un autre rêve chevillé au corps: une vaste communauté installée dans les bois: “Sur un immense terrain, on bâtirait des maisons où accueillir tous ceux qui veulent la rupture, d’abord mes amis, puis des enfants maltraités par les guerres… Une nouvelle cité, une nouvelle société, basée sur la liberté. Avec une scène ouverte à tous.” La possibilité d’une ville, plus que la possibilité d’une île, en somme. album V (Secretly Canadian/Pias), jjuniverse.com

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rentrée musique

bande-son pour un été indien Des indétrônables –Leonard Cohen, Gilberto Gil, et même Bashung– aux jeunes pousses –Mapei, Mina Tindle–, la rentrée s’annonce éclectique.

par Maxime de Abreu, JDBeauvallet, Christophe Conte, Stéphane Deschamps, Johanna Seban

Sage The Shoes parmi En marge de l’épopée Revolver, les nouveaux invités du leFrançais Ambroise Willaume festival les inRocKs Philips adéveloppé un projet solo au nom Troisans après le carton de Crack My Bones, The Shoes reviennent, et ce en exclusivité au festival les inRocKs Philips (le 13/11). Les Français, actuellement en studio à Londres pour finaliser le mix de leur deuxième album en compagnie du producteur Ash Workman (Metronomy…), viendront dévoiler, lors d’un concert événement à la Cigale, les nouveaux titres de ce disque prévu pour le printemps 2015. Ils partageront l’affiche avec l’electrocrooner australien Chet Faker, les psychédélices des Anglais de Glass Animals et l’espoir pop-soul venu de Suède, Seinabo Sey. Au Casino de Paris (le 11/11), Lykke Li et Woman’s Hour gagnent aussi un nouveau partenaire: le Mancunien Oceaán, formidable chasseur de mélancolie electro dont les morceaux et remixes ont fait notre joie cette année. Tous ces noms complètent une affiche déjà éblouissante puisqu’elle fait secôtoyer, pour rappel, Baxter Dury, TheJesus And Mary Chain, Damon Albarn, Asgeir, Parquet Courts, Palma Violets, Nick Mulvey, Moodoïd, Frànçois And The Atlas Mountains… Letout à Paris, Tourcoing, Nantes, Toulouse et Londres. toute la programmation du festival lesinrocks.com/musique/yntht/ festival-inrocks-philips/

comme une image, Sage. Solo mais pas seulement: si le jeune homme est seul derrière la composition de ces hymnes au piano, il en a confié la production àBenjamin Lebeau des Shoes. Lerésultat: une pop qui oscille entre l’épique et l’intime, comme chez un certain Woodkid, avec qui Sage partage le label. Un premier ep sortira cet automne, avant un album prévu pour 2015. ep (Labelgum) concerts cet automne en première partie de Sebastien Tellier, Chet Faker et The Dø

Mina Tindle “Un soleil andalou impitoyable, l’appel du Grand Nord, des marabouts silencieux, beaucoup de rouge à lèvres, des mouvements de taekwondo…” Voilà ce qu’évoque notamment Parades aux yeux de Mina Tindle. Ce sera en tout cas le nom du deuxième album de la Française, un disque aérien et sensuel que dévoile déjà l’extrait ICommand. L’émission de la sixième chaîne de télévision dit vrai: la France a un incroyable talent, la France a Mina Tindle. album Parades (Believe), sortie le 6/10 concerts le 16/10 à Angers, le 24/11 à Paris (Gaîté Lyrique)

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David Balicki pour Les Inrockuptibles

En attendant leur retour au printemps 2015 avec un nouvel album, TheShoes seront de passage en exclusivité au festival les Inrocks Philips en novembre

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rentrée musique Jean-Louis Murat Toujours aussi fécond, Murat accouche d’un nouvel album douze mois après Toboggan. Cette fois, le musicien a vu les choses en grand: Babel est double et rassemble inédits et anciens morceaux. Pour les mettre en lumière, Jean-Louis Murat s’est entouré d’autres bienfaiteurs auvergnats, conviant la formation de folk locale The Delano Orchestra à orner ses chansons d’arrangements soyeux. album Babel (Pias), sortie le 13/10 concerts le 10/9 à Paris (Maroquinerie)

Jay Z et Beyoncé Depuis le “Solange Gate”, qui a vu s’affronter la sœur de Beyoncé et son beau-frère Jay Z, on a surtout entendu parler du couple-star pour des rumeurs de divorce. Au milieu de ce tapage médiatique est pourtant organisée On The Run Tour, une ambitieuse tournée internationale qui réunit les deux mégastars (pour payer le divorce ?). Quoi qu’il en soit, la chose passera par le Stade de France: bienvenus dans le 9-3, les gars. concerts les 12 et 13/9 au Stade de France

Caribou Manitoba, Daphni, Caribou: depuis 2001, le producteur et musicien pop canadien Daniel Snaith perce nos cœurs avec les morceaux fous de ses différents projets. Le prochain Caribou sortira le 6octobre et s’intitule Our Love: le disque, qui bénéficie de la participation de ses compatriotes Owen Pallett et Jessy Lanza, se découvre déjà via les prometteurs extraits Can’t Do without You et Our Love. Quelques jours après sa sortie, Caribou prendra le chemin des salles françaises –il est notamment annoncé au Pitchfork Festival.

Maciek Pozoga

album Our Love (City/Slang), sortie le 6/10 concerts le 21/10 à Villeurbanne, le 22 à Lille, le 1/11 à Paris (Grande Halle de la Villette)

Booba Yelle Le premier single de son album, Bouquet final, a enchanté l’été. La suite devrait être… complètement folle. Complètement fou: voilà le titre du nouvel album de Yelle, son troisième, qui sortira au début de l’automne. Un titre qui promet un peu de couleur parmi les feuilles mortes, et tout ce qu’on a toujours aimé chez l’artiste bretonne: des mélodies élastiques, des textes faussem*nt naïfs, qui parfois donnent le vertige, et une vision unique de ce que peut être la pop en France. album Complètement fou (Because), sortie le 29/9 concert le 16/12 à Paris (Gaîté Lyrique)

On le savait depuis le dernier Festival de Cannes, où il en fit l’annonce en dévoilant le single OKLM: Booba est de retour avec un nouvel album. Ce sera le septième pour le rappeur de Boulogne-Billancourt, et donc la suite logique de Futur (2012) et de sa réédition Futur2.0 (2013). Une excellente nouvelle pour les amateurs de rap hardcore, qui devrait par ailleurs occulter (pendant un temps du moins) les clashs à répétition sur internet.

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rentrée musique Scott Walker + Suun O))) On en a cauchemardé, Suun O))) l’a fait. L’un des astres les plus noirs de la galaxie expérimentale est entré en collision avec une étoile encore plus mystérieuse: l’ancien crooner existentialiste recyclé en sadique sonore à voix gutturale. Cette fusion atomique, préparée en secret depuis des années, n’est pas aussi destructrice pour les nerfs qu’on pouvait le craindre. Attention: il ne faut pas non plus espérer danser la chenille dessus au prochain jour de l’An. album Soused (4AD/Beggars/Wagram), sortie le20/10

Camélia Jordana

Renaud Monfourny

A la rédaction, le débat fait rage: lapochette façon Joconde fardée de Dans la peau, le deuxième album de Camélia Jordana est-elle très inspirée ou carrément pas belle ? En revanche, tout le monde est d’accord sur le contenu: la voix de Camélia Jordana (inouïe chez une personne aussi jeune, 21ans) est encore un philtre d’amour, servi dans les flacons d’une variété, au sens noble et large (pop, éthio-jazz, folk…). Oui, oui, oui, on est contents de retrouver Camélia Jordana. album Dans la peau (Sony), sortie le 15/9 concert le 15/12 à Paris (Bataclan)

Alain Bashung Son mythique album Fantaisie militaire devient coffret. Sorti en 1998, Fantaisie militaire est à la fois la pierre angulaire et la plus précieuse de sa discographie. Réalisé par Les Valentins et porté par le classique La Nuit je mens, ce dixième album fait l’objet d’un coffret qui dévoilera de nombreuses pièces inédites à verser à cet inépuisable dossier. On est impatients de découvrir l’arrière-cuisine de l’un des plus grands disques de l’histoire de la chanson française. album Fantaisiem ilitaire (Barclay/Universal)

écran total Musique et cinéma font bon ménage en cette rentrée. Quand le quatrième et le septième art se rencontrent, ça donne une bonne demie douzaine de films consacrés à des musiciens. On commence avec la sortie du Parrain4, enfin presque. Le Godfather of soul James Brown fait l’objet d’un biopic réalisé par Tate Taylor: Get on Up (le 24/9). Entre fiction et docu, Nick Cave illuminera 20,000Days on Earth. Réalisé par ses complices Iain Forsyth et Jane Pollard, le film, deux fois primé à Sundance,

proposera 24heures (fictives) dans la vie du leader des Bad Seeds –avec en prime la présence de Kylie Minogue. En France, la réalisatrice Mia Hansen-Løve offrira une belle plongée dans laFrench Touch: Eden raconte le parcours d’un jeune DJdans la nuit parisienne (le 19/11). D’autres musiciens s’invitent encore sur l’écran: TheNational (avec la sortie en DVD du documentaire Mistaken for Strangers, réalisé par le frère de Matt Berninger,

leader du groupe, lire p.96) ou bien Antony & The Johnsons avec la parution (en CD et DVD) de Turning, docu retraçant un concert au Barbican en novembre 2006. Anoter enfin qu’il n’est jamais trop tard pour se procurer, en import, Pulp: A Film about Life, Death & Supermarkets, oùl’ultime concert de la troupe de Jarvis co*cker à Sheffield est prétexte àun formidable documentaire sur la ville et ses common people.

Arthur H Après L’Or noir et L’Or d’Eros, ses deuxalbums de poésie caribéenne et érotique mis en musique (par Nicolas Repac), l’attachant ArthurH revient à la chanson. Enregistré à Montréal avec une fine équipe, Soleil dedans éclaire et réchauffe l’obscurité du dehors: un album groovy et droopy à la fois, où il est beaucoup question de la lune, des étoiles et de voyages. Ce n’est pas encore l’heure de l’éclipse pour H. album Soleil dedans (Polydor/Universal), sortie le 22 septembre concert le 17/12 à Paris (Casino de Paris)

Les Innocents Après une rupture brutale qui aura duré quinze ans, l’un des groupes vétérans de la pop française –formé en 1982 !– s’est rabiboché autour du noyau dur Jipé Nataf et Jean-Chri Urbain. Après une tournée acoustique pour se chauffer, les premiers titres échappés du prochain album prévu en novembre (parmi lesquels le sublime Philharmonies martiennes) laissent augurer d’un grand cru. album (Jive/Sony), en novembre

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Les special guests de la soirée de clôture: Cats On Trees

finale Sosh aime les inRocKs lab 2014 Rendez-vous le 27 septembre dès 17 h 30 au Trianon de Paris pour voir s’affronter les cinq finalistes de la onzièmeédition du concours Sosh aime les inRocKs lab. Des poètes maudits de Feu ! Chatterton au flow implacable du rappeur Beny LeBrownies, de la pop amoureuse de Juliette Armanet aux sons garage 90’s de Camp Claude sans oublier le rock désenchanté de Radio Elvis: qui se verra décerner le prix du jury et le prix du public ? Les invités d’honneur Cats On Trees clôtureront la soirée. Entrée sur invitation à retirer sur Digitick. Plus d’infos sur lesinrockslab.com. concert le 27/9 à Paris (Trianon)

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Ana Bloom

Ils ne sont plus que cinq. L’heure de la finale a sonné.

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rentrée musique Baxter Dury Douze ans (déjà) après le disque qui le révéla en héritier, digne mais affranchi, d’un des génies cabochard du rock anglais – Ian Dury –, Baxter agrandit son petit cirque personnel sur un quatrième album accueillant et addictif, placé sous le signe du plaisir, lequel se partage dès la première écoute. Jouant au ping-pong avec des voix de filles canailles, il est plus que jamais comme un roi en son royaume, et chacune des chansons aux esbroufes minimales qu’il aligne ici devient vite un petit hymne intime que l’on chante jalousem*nt sous la douche. album It’s a Pleasure (Pias), sortie le 20/10 concerts le 14/11 à Tourcoing, le 15 à Paris (Cigale), le 16 à Nantes, le 18 à Toulouse, dans le cadre du festival les inRocKs Philips lire interview p.90

Kindness Epaulé par Kelela, Robyn ou Devonté Hynes, par des cuivres dont la férocité évoque les jazzmen éthiopiens des seventies ou par des claviers toujours aussi aériens, l’Anglais Kindness a choisi de s’enfoncer plus encore dans un funk moite, qui tutoie les hanches et raffermit les fesses. Car on n’est plus ici dans l’expérimentation débridée (malheureusem*nt, parfois), mais dans la grande liesse collective, l’opulence, le partage des sueurs –et plus si affinités. Passant des incantations de secte aux râles du sexe, Adam Bainbridge s’offre même en passant le genre de tubes –I’llBe Back– que Prince semble désormais incapable de produire. album Otherness (Pias Coop), sortie le13/10

Gilberto Gil Mapei Après une apparition remarquée en2008, la Suédo-Américaine est de retour. En2008, en quelques chansons pétaradantes, animales, orgiaques, on découvrait l’intraitable Mapei. Sur la foi de cette electro-soul vraiment sauvage, incontrôlée, braillée à faire fuir d’effroi M.I.A., on invitait la Suédo-Américaine au Festival des Inrocks. Cette ancienne coloc de Lykke Li, particulièrement bien entourée en studio (Spank Rock, Major Lazer, DJMehdi, Justice…) ne viendra pourtant pas: elle aurait alors craqué sous la pression et serait partie sur la route, sans adresse. Pourtant, Mapei avait habitué à tenir tête, buste fier et grande gueule à la rescousse, beuglant par exemple: “J’ai appris quelques vérités. Toutes les Suédoises ne sont pas blondes et la chatte de Beyoncé sent aussi.” On reprend tout à zéro en 2014. Mapei sort enfin son premier album, visiblement moins porté sur l’énergie pure, brute, et plus sur le chant. Charnelle toujours, mais moins cassante. album Hey Hey (Downtop/Sony), sortie le 23/9

Ne l’appelez plus monsieur le ministre (de la Culture du Brésil, il a occupé le poste jusqu’en 2008): c’est le musicien qui fait sa rentrée, avec un de ses meilleurs albums –et il en a sorti plus de cinquante. Gilbertos Samba est un hommage acoustique au répertoire du pionnier de la bossa, João Gilberto. Et surtout un disque où les étoiles s’alignent, entre les chansons, la production et l’âge du capitaine (72ans, toutes ses dents). Parfaite bande-son de l’été indien, l’album est déjà sorti, et sera décliné sur les scènes françaises en octobre. album Gilbertos Samba (Sony), disponible concerts le 6/10 à Lyon, le 11 à Lille, le 13 à Paris (Théâtre du Châtelet), le 18 à Nancy

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The Dø Sans conteste l’une des plus fortes secousses de la rentrée (et de l’année).

Alice Moitié

Avec Shake Shook Shaken, son troisième album, le duo franco-finlandais conjugue une grammaire nouvelle, abandonnant les rêveries folk et nocturnes du précédent pour la frénésie électronique et néanmoins mélodique de chansons qui vibrent comme des sex toys. Avec ces petit* miracles explosifs et astucieux, traversés toutefois d’ondes mélancoliques, Dan et Olivia inscrivent leurs initiales sur un disque qui ne s’usera pas avant longtemps. album Shake Shook Shaken (Cinq 7/Wagram), sortie le 29/9 concerts les 9 et 10/9 à Paris (104)

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rentrée musique Pink Floyd On jugera sur pièce s’il s’agit d’un pétard mouillé ou d’une heureuse surprise, mais un nouvel album de Pink Floyd est toujours un événement. Baptisé The Endless River, il reprend des sessions majoritairement instrumentales laissées en friche lors de l’enregistrement du pas très fameux TheDivision Bell, sorti il y a vingtans. Avec le fantôme de Rick Wright, mort en 2008, mais sans Syd Barrett (mort aussi) ni Roger Waters, toujours occupé à retaper The Wall. Sur le papier, ça fait un peu peur. album The Endless River (Warner), sortie le 24/10

SBTRKT

Anastasia Rybina

L’Anglais continue d’avancer masqué, mais ses invités, eux, illuminent une affiche de grand luxe: le prometteur soulman anglais Sampha, Caroline Polachek de Chairlift, l’omniprésente Jessie Ware, la mélancolique Denai Moore ou le Vampire Weekend Ezra Koenig. Un casting qu’imposaient les compositions nettement plus ambitieuses, raffinées et atmosphériques d’un second album déjà accroché aux méninges –plus qu’aux pieds.

Aphex Twin Un album signé Aphex Twin est suffisamment rare pour être surveillé de près.

album Wonder Where We Land (Young Turks/Beggars/Wagram), sortie le 22/9 concert le 18/11 à Paris (Trianon)

Après un message cryptique via un navigateur du deep web, un teaser via des ballons dirigeables volant dans les cieux de Londres et NewYork, le nouvel album d’Aphex Twin est enfin officiellement annoncé. Cela étant, le communiqué de presse reste fort farfelu, voire totalement impénétrable. On y évoque un ep paru en 1891, un biscuit, des projets pour l’année 20005, l’incarnation de l’omniprésent, etc. Ce qu’on comprend, tout de même, c’est que le disque, qui succède à Drukqs, âgé de 13ans, s’intitule Syro, réunira douze morceaux et paraîtra le 22septembre chez Warp. Ce qui, en soi, est un véritable événement. album Syro (Warp/La Baleine), sortie le 22/9

Kassé Mady Diabaté

Leonard Cohen C’est son treizième album studio: on prie pour que Popular Problems ne porte pas malheur à Leonard Cohen. Mais vu son air toujours aussi dandy, on ne s’inquiète pas trop pour cet homme qui a tout traversé, tout vu, tout essayé et en est revenu serein, ou du moins philosophe. Oubliée, la ruine crapuleuse qui l’avait forcé en 2008 à sortir de sa semi-retraite: le Canadien revient avec neuf nouvelles chansons. Qui, si on en juge par le premier extrait, Almost Like the Blues, offrent le désormais traditionnel mélange de songwriting suprême (l’extase et le malheur, terreau fertile pour cette plume goguenarde) et d’orchestrations pour le moins excentriques. Et cette voix… album Popular Problems (Columbia/Sony), sortie le 22/9 hors-série les inRocKs 2 en kiosque le 26/9

Lorca Cohen

Pour fêter ses 80ans, le Canadien nous offre un nouvel album.

Kassé la voix, pourrait-on résumer en hommage à Patrick Bruel. Kassé Mady Diabaté est un immense chanteur malien, dont la longue carrière n’a pas toujours trouvé ici l’écho et la reconnaissance mérités. Mais tout pourrait changer avec son nouvel album solo, Kiriké, produit par le label français, et de référence, No Format (qui fête ses dix ans cet automne avec une triplette de bons albums et un festival début décembre). Enregistré en formation réduite, acoustique et traditionnelle (kora, balafon, n’goni), avec Vincent Segal au violoncelle et à la réalisation, Kiriké offre un écrin à la hauteur de la voix de Kassé Mady Diabaté. Musique hypnotique et chant mystique, qui invoque les mystères anciens de la culture mandingue. Envoûtés par ce grand disque, on poursuivra la séance sur scène, le 21novembre aux Lilas pour le festival Africolor, et le 3décembre à Paris (Café de la Danse) pour fêter les dix ans du label No Format, donc. album Kiriké (No Format), sortie le 27/10

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l’art du complot Révélé par son premier roman, La Théorie de l’information, Aurélien Bellanger publie L’Aménagement du territoire, une nouvelle épopée industrielle autour d’une ligne TGV. Rencontre avec l’un des écrivains français les plus singuliers. par Elisabeth Philippe photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

D

e Picsou aux suicides quantiques, en passant par Proust, Spinoza ou les premiers microondes, au cours de l’entretien, Aurélien Bellanger navigue d’un sujet à l’autre comme l’on clique sur des hyperliens. Une sorte de Wikipédia humain. En 2012, à la sortie de son très remarqué premier roman, La Théorie de l’information, son style, froid et désincarné, avait d’ailleurs été comparé à celui de la cyberencyclopédie. Il existe en effet chez le romancier de 34ans un désir obsessionnel de tout englober, d’encoder l’intégralité du monde et de nos connaissances dans des phrases d’un scientisme poétique. A l’instar de Clément, l’un des personnages de son nouveau livre, Aurélien Bellanger aimerait,

à n’en pas douter, “écrire le roman complet de l’histoire des hommes”. En deux livres, il s’impose en tout cas comme l’archéologue de notre modernité, le chroniqueur distancié de la France contemporaine. Dans La Théorie de l’information, il retraçait l’épopée du Minitel à travers la figure de Pascal Ertanger, double fictionnel de Xavier Niel, le patron de Free. Irrémédiable solitude des hommes, sexe triste et tableau désenchanté de la société libérale, le jeune auteur marchait dans les pas de Michel Houellebecq, auquel il a d’ailleurs consacré un essai, Houellebecq, écrivain romantique. C’est avec un roman au titre résolument houellebecquien, L’Aménagement du territoire, qu’il revient. “J’ai réalisé un peu tard à quel point cela pouvait faire écho à LaCarte et le Territoire, s’amuse Aurélien Bellanger

lorsqu’on le rencontre chez son éditeur. Mais le clin d’œil est tellement appuyé que je préfère jouer le mec innocent.” Avec L’Aménagement du territoire, l’écrivain poursuit son odyssée technologique en s’intéressant cette fois à une autre aventure industrielle française: le TGV. “Le Minitel, Ariane, Superphénix, le TGV, tout cela était très prégnant quand j’étais enfant, avancet-il pour expliquer sa fascination pour ces thématiques. Quand on feuilletait les livres d’histoire, à la dernière page, on trouvait toujours une photo de Mitterrand et une photo du TGV. Ça avait un côté fin de l’histoire. Je me souviens de la première fois où j’ai pris le TGV pour aller en classe de mer à La Rochelle, j’étais en CM1. Je n’avais jamais vu un truc aussi moderne, c’était une vraie assomption technique. Les années 1980 ont été les derniers feux de ce monde industriel qui avait encore une beauté propre.”

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Aurélien Bellanger chez lui, juillet 2014

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C’est aussi l’époque où l’histoire donne l’impression de s’accélérer. Tout va plus vite: les transports, les communications, même les événements. Le roman intègre admirablement cette exigence de vitesse. En quelques pages vertigineuses, Aurélien Bellanger réécrit l’histoire de France, de la préhistoire à nos jours, par le prisme de son évolution géographique, comme s’il zoomait sur Google Maps. La focale se resserre jusqu’à faire le point sur une zone précise: la Mayenne. C’est dans ce département, “photographie vivante de la France éternelle”, avec ses clochers, ses bois et ses châteaux, que va se dérouler l’action. “C’est là que je suis né, précise Aurélien Bellanger. J’y ai vécu seulement un an, mais j’y suis retourné en vacances, chez mes grands-parents. La ferme où vit toujours mon grand-père est aujourd’hui coupée en deux par une ligne à grande vitesse.” Les nombreux personnages du livre vont eux aussi se retrouver divisés par la construction d’une ligne TGV. Ce projet devient l’objet d’une lutte mortelle entre plusieurs clans de la petite commune d’Argel. C’est Dallas transposé au terroir français dans un roman néobalzacien. D’un côté, la famille d’Ardoigne, nobles désargentés traumatisés par la mort de la mère, fauchée par une Mercedes sur une route de campagne. La fille, Isabelle, exorcise son chagrin en s’investissant avec ardeur dans une association pour la sécurité routière. Elue maire d’Argel, elle milite activement en faveur de la ligne TGV. En face, la famille Taulpin, avec à sa tête André, un riche industriel, bâtisseur d’autoroutes sans scrupules bien introduit dans les cercles politiques, qui s’oppose de toutes ses forces à la ligne à grande vitesse. Une sorte de Martin Bouygues, même s’il rappelle surtout le démoniaque Vautrin de Balzac, figure du mal absolu. André Taulpin est prêt à tout pour assouvir ses rêves de toute-puissance et accomplir sa volonté de destruction de l’Etat-nation. Autour de ces pôles antagonistes gravitent une myriade de satellites: Pierre, le neveu de Taulpin, jeune paumé d’extrême droite ; son cousin Sébastien, activiste écologiste radicalisé

à Notre-Dame-des-Landes ; Clément, l’archéologue chargé des fouilles sur le chantier du TGV ; et surtout le préfet Roland Peltier, ancien secrétaire particulier de Jacques Foccart, “l’homme le plus puissant et le plus secret de la Ve République”, seul personnage réel du livre, mais peut-être le plus romanesque. “Foccart était une espèce de super Charles Pasqua, le versant noir du gaullisme”, ajoute Aurélien Bellanger au sujet de cette figure centrale de la Françafrique. Les liens entre les personnages, tous mus par des idéologies qui les déterminent, dessinent une cartographie complexe, parcourue de réseaux

souterrains. Au sens propre comme au figuré. Le livre regorge de passages secrets, de grottes, de catacombes. A partir d’une lettre de Foccart envoyée à Peltier, dans laquelle il lui révèle son appartenance à une société secrète inspirée par La Chanson de Roland, L’Aménagement du territoire dévie de ses rails réalistes pour basculer dans le roman d’aventures façon Club des Cinq aux confins du fantastique, sur fond d’occultisme et de théories du complot. “Au moment de l’écriture, la lettre de Foccart a été déterminante, explique le romancier. Comme si je m’étais fait une énorme injection de romanesque à l’état pur. Un ami m’a dit un jour que la dernière

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Dallas transposé au terroir français dans un roman néobalzacien grande forme artistique à avoir émergé ces dernières années, ce sont les vidéos complotistes sur internet. Ce sont des romans au premier degré, une explication globale des événements avec des méchants, des gentils. Le complot est un dévoiement de l’art romanesque qui a pris le dessus. Pour le contrer, il faut lui opposer encore plus de complot. Avec ce livre, j’ai voulu voler un peu de cette force narrative en racontant l’histoire comme s’il s’agissait d’un complot de druides.” A cet ésotérisme débridé, l’écrivain mêle des morceaux de bravoure technicistes, descriptions minutieuses de silos à grains, inventaire chiffré des éléments qui composent un TGV, évocation à base d’équations du réacteur naturel d’Oklo… “Paradoxalement,

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il s’agit pour moi des passages les plus agréables à écrire, des moments de rêverie, indique Bellanger. C’est sans doute un problème pour un romancier, mais j’ai toujours l’impression que le romanesque, raconter des intrigues, c’est sale. Une digression de vingt pages sur la forme des silex, je m’y jette avec plaisir. En revanche, s’il faut raconter qu’une personne entre dans une pièce et entame une conversation avec quelqu’un d’autre, je suis terrorisé. Peut-être parce que j’ai une vision un peu autistique des rapports humains.” Pourtant, quitte à vexer Aurélien Bellanger, L’Aménagement du territoire, machine folle lancée à toute allure, sidère par sa puissance et son ambition totalisante. Les différents éléments –l’intrigue et les parties techniques– s’imbriquent les uns dans les autres

avec la perfection d’une démonstration mathématique. Chaque pièce a une fonction précise, aucun détail n’est livré au hasard. “Pour moi, la vraie drogue du romancier, c’est le nécessitarisme, l’idée que les choses ne peuvent pas être autrement que ce qu’elles sont, poursuit l’auteur. Il est tout de même bizarre que les tragédies soient si délicieuses de perfection formelle. On adore un spectacle qui va nous broyer, nous dire que nous n’avons aucune liberté, mais c’est peut-être l’essence même du frisson esthétique.” Celui-là même que l’on éprouve à la lecture de L’Aménagement du territoire, objet romanesque mutant et implacable. L’Aménagement du territoire (Gallimard), 480pages, 22€

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Jupiter face à Io transformée en génisse dans Métamorphoses de Christophe Honoré

souvent homme varie La métamorphose est cette année la figure récurrente au cœur du travail de cinéastes, d’écrivains, de plasticiens… Avec eux, l’homme redevient ce qu’il a toujours été: un animal. dossier coordonné par Jean-Marc Lalanne avec Romain Blondeau et Claire Moulène

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Jean-Louis Fernandez

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’amateur de blockbuster avait eu le temps de s’y accoutumer. Pour lui, un héros de fiction ne saurait n’avoir qu’une seule appartenance. Depuis le début de la décennie 2000, lorsque les franchises X-Men (en 2000) puis Spider-Man (en 2002) ont pris le pouvoir sur le spectaculaire hollywoodien, le mutant est devenu la surface de projection la plus universelle.

Pour susciter des identifications massives, unpersonnage se doit désormais de connaître plusieurs états. Souvent entre l’humain et l’animal. Mais depuis le début de l’année, c’est une multitude de champs culturels qui ne jurent plus que par la métamorphose. Christophe Honoré sonde l’origine du genre en adaptant LesMétamorphoses d’Ovide. Les dieux s’incarnent en hommes, le masculin et le féminin fusionnent, l’humain, l’animal et le végétal constituent 3.09.2014 les inrockuptibles 65

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une même séquence du vivant dans laquelle les êtres se promènent. Quelques mois plus tôt, la jeune femme de chambre de Pascale Ferran mutait en moineau (Bird People). Dans son dernier moyen métrage intitulé Métamorphoses, la prometteuse jeune cinéaste Shanti Masud filme huit transformations de filles et de garçons en curieuses bêtes mythologiques (et inventorie, du même coup, toutes les solutions –trucage, montage…– que le cinéma a mis en œuvre pour représenter une transformation. Bientôt, il poussera des cornes sur la tête bien faite de l’ex-Harry Potter Daniel Radcliffe dans Horns, le nouveau film fantastique d’Alexandre Aja. Ces dernières semaines, le nouveau roman de Joy Sorman s’ouvrait sur une saillie femme/ours, géniteurs d’unenfant hybride dont le récit allait nous conter le calvaire. Déjà au début del’année, dans Zoo:clinique, Patrice Blouin campait une humanité sujette àune étrange épidémie transformant les humains en ours, en crocodile, enlibellule… En écho, une exposition dePierre Huyghe a fait se côtoyer toutes les formes du vivant (des abeilles, uneflore, un chien à pattes roses). Etles recherches d’un certain nombre de plasticiens font résonner les tentatives d’influents penseurs (Bruno Latour, Donna Haraway –passée de la pensée du cyborg à celle de l’animal avec TheCompanion Species Manifesto). Enfin, tandis que le critique Paul Ardenne consacre un roman et une exposition à l’oiseau, Christine Angot clôt la série de portrait de La Petite Foule par une appropriation de la langue des oiseaux. L’écriture acérée de l’écrivaine se métamorphose en langue animale: “Vous attendez le siffleur. Vous voulez l’imiter le mieux possible. Vous écoutez. Vous faites le trille. Flui. Fluit fluit. Vous vous exercez. Fluit. Flouou, Flou-hou, flou, flou-hou. wou wou ; wou wou ; wou wou. Hohui hohui. Ttt, ttt, ttt. Tda, tda. Fluit.” L’écriture comme sortie de l’anthropocène, tension vers un devenir Bird People généralisé. Jean-Marc Lalanne

“croire au visible pour voir l’invisible” Le cinéaste Christophe Honoré adapte Les Métamorphoses d’Ovide. Un audacieux défi où le récit mythologique s’inscrit dans notre époque. par Romain Blondeau photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles

Q

u’est-ce qui vous a attiré dans le texte d’Ovide ? Christophe Honoré– Ça fait longtemps que je m’intéresse à la mythologie, que je lis les textes, qu’ils m’interrogent. L’idée d’en faire un film s’est imposée avec l’actualité de la Grèce, presque par réaction. Lorsque j’entendais parler de la dette grecque, je pensais à l’inverse que c’était l’Europe qui avait une dette immense envers la Grèce, en termes de culture, de réservoir d’histoires, de mythologie. Je voulais observer la France d’aujourd’hui depuis cet héritage, depuis ces mythes. Puis j’ai relu Les Métamorphoses, et j’ai été frappé par cet incipit d’Ovide: “Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux.” J’y ai vu une définition même du cinéma, et ça a suffi à déclencher l’envie de faire un film. En quoi l’idée de “métamorphose des formes” peut-elle être une définition du cinéma ? Je n’ai jamais considéré la caméra comme un miroir, ou comme une simple manière d’enregistrer du réel. L’acte de mise en scène est forcément une métamorphose, c’est l’acte de transformer en fiction des éléments réels, des éléments du tournage. Lorsque vous passez deuxmois avec des techniciens, des acteurs, vous constituez un ensemble d’heures de rushes, de plans, qu’il s’agira ensuite de monter

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les uns à côté des autres, en opposition ou en écho aux autres. D’une forme assez linéaire –celle de la chronologie d’un tournage–, vous inventez au montage une nouvelle forme, un corps nouveau. En tant que réalisateur, je ne veux pas me satisfaire de ce que j’ai déjà (un acteur, un décor, une scène écrite dans un scénario), mais plutôt chercher ce que la caméra me permettra de transformer, tenter d’atteindre autre chose. C’est dans ce sens que Métamorphoses est peut-être ontologiquement plus cinématographique que mes autres films, parce qu’il porte comme sujet mon travail même de cinéaste. Peut-on dire que Métamorphoses marque une rupture dans votre cinéma ? Après Les Bien-Aimés, qui faisait écho aux Chansons d’amour, j’ai eu une forte envie de rupture, de partir ailleurs. J’ai fait beaucoup de films en peu de temps, donc forcément j’étais arrivé à un point où l’on se retourne sur ce que l’on a fait, et où l’on s’interroge sur ce que l’on est désormais capable de faire. Je voulais envisager autrement les choses. Et juste avant de réaliser Métamorphoses, j’avais mis en scène une pièce de théâtre, Nouveau Roman, qui a été une expérience très satisfaisante. Je suis rarement comblé par mes films, et mes romans n’en parlons pas. Mais là, j’ai ressenti quelque chose de nouveau dans le travail avec les comédiens, dans l’écriture de plateau, une forme de liberté que je voulais éprouver sur un tournage, et Les Métamorphoses d’Ovide était le texte idéal pour retrouver cette sensation. Dès le scénario, le projet semblait insensé: on racontait des histoires mythologiques, depuis la France contemporaine, avec de nombreux personnages, des animaux… C’est techniquement le film le plus complexe que j’ai réalisé: je me suis confronté à des décors extérieurs, j’ai tourné avec des acteurs amateurs, en numérique. Il a fallu que je me métamorphose en tant que cinéaste. Mais le film reste tout de même lié à mes précédents, et c’est le plus beau dans la métamorphose: qu’est-ce qui reste permanent, qu’est-ce qui dans les gens, dans les films, ne change pas ? Je vois bien ce qui ne change pas

“la métamorphose est une renaissance, mais c’est aussi une destruction. Il y a cette idée de l’anéantissem*nt de l’humain”

dans Métamorphoses, en quoi il est proche de mon premier film 17 fois Cécile Cassard, avec cette idée par exemple de me frotter à nouveau au fantastique, de me débarrasser de la psychologie. Le pari de Métamorphoses est celui de la croyance du spectateur: faire croire en la possibilité de dieux sur terre, d’hommes qui mutent en animaux. Comment avez-vous appréhendé cette question ? Le déficit de croyance est le grand souci du cinéma français, et sa force. Quand je vais voir Les Gardiens de la galaxie, les X-Men, ou les Spider-Man, je ne doute pas une seconde de ce que l’on me raconte, même devant les choses les plus insensées. J’ai une croyance immédiate, liée au plaisir. A l’inverse, dans le cinéma français, on ne croit pas, quelque chose résiste, il faut être dans la “vraie vie”. Or cette idée m’ennuie, et j’ai toujours voulu, à partir de cadres réalistes, créer des décalages: mettre un conte breton au milieu d’un récit, recourir à un texte très littéraire ou à des chansons. Dans Métamorphoses, la croyance est complexe puisqu’elle nécessite un effort: je demande au spectateur de ne pas être embarrassé par ces personnages qui s’appellent Jupiter ou Europe. Et ensuite de croire à leur histoire. L’autre défi du film est la représentation des métamorphoses: des hommes qui se transforment en arbre, en vache, en lion... Pourquoi avez-vous fait le choix de mettre en scène ces mutations de manière rudimentaire, en utilisant le hors-champ ou le montage plutôt que les effets numériques ? Par goût, d’abord, mais aussi parce que je n’avais pas envie d’être dans la performance. Ce n’est pas ma manière de mettre en scène. A aucun moment je ne me suis dit que j’allais travailler sur le morphing ou le tout numérique. Je voulais que le spectateur puisse construire lui-même la transformation, plutôt que de la représenter frontalement. Qu’il la devine. Mais je ne voulais pas non plus être dans l’évitement, ce cliché de mise en scène qui a marqué le cinéma d’auteur des années 80-90 et qui consiste à préférer les temps morts aux temps forts. J’ai quand même voulu me confronter aux images, donc j’ai montré cet homme aux cent yeux, j’ai travaillé avec des techniciens qui font des prothèses, j’ai utilisé des animaux réels et je me suis servi de certains outils du numérique de manière minoritaire. Vous avez évoqué un choix de “goût”, mais n’êtesvous pas sensible aux images numériques du cinéma hollywoodien, et notamment des films de superhéros, où le motif de la mutation est central ? Je n’ai aucune morale dogmatique à ce sujet. Je me souviens que les gens en charge des effets spéciaux numériques de mon film avaient envie que leurs images soient exceptionnelles, que leur travail se voit à l’écran. Mais je préférais que l’on ne distingue pas les plans truqués. C’était la ligne esthétique que je souhaitais pour le film, une recherche de la simplicité, l’envie de faire en sorte que l’arrivée de ces dieux en France ne soit pas spectaculaire, qu’elle soit clandestine, à peine vue. Encore une fois ce n’est pas

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Hippomène séduit Atalante grâce aux pommes d’or de Vénus

une méfiance vis-à-vis du numérique, j’ai aussi un goût pour ce cinéma. Dans Twilight, la mutation du personnage de Jacob en loup-garou crée quelque chose d’assez ludique, il y a un plaisir enfantin à voir pour le croire. Or, dans Métamorphoses, je partais de l’idée de croire pour le voir. Il fallait croire au visible pour voir l’invisible. Je voulais que le mystère soit construit par le manque. Le plaisir de La Belle et la Bête de Cocteau est que l’on peut voir comment les trucages ont été faits ; on n’oublie jamais la fabrication du film, les traces de son tournage, le documentaire de la fiction, disons le côté Rivette. Quels sont selon vous les grands artistes de la métamorphose ? Tim Burton est le cinéaste qui ne se satisfait jamais de l’humain. Même dans un film comme Big Fish, où il part d’un contexte réaliste, il faut qu’il y ait de la mythomanie, une surenchère de fiction et d’histoires incroyables pour que le personnage soit toujours en devenir. Avec Edward aux mains d’argent, Sleepy Hollow, Batman, Tim Burton est le plus fort pour créer des humains monstrueux et des monstres humains. Il y a dans la métamorphose cette idée de l’anéantissem*nt de l’humain. La métamorphose est une renaissance, mais c’est aussi une destruction. On voit bien d’ailleurs en quoi les mauvais blockbusters américains n’assument pas la part de destruction. Ils procèdent plutôt par des allers-retours, leurs personnages sont des monstres mais redeviennent humains, dans une sorte d’égalité rassurante pour le spectateur. Peu de blockbusters assument la cruauté du changement. L’autre artiste de la métamorphose à laquelle je pense est Duras. Voyez Le Camion, où elle est à table avec Depardieu lisant un scénario et racontant un film qui n’est représenté que par leurs voix. C’est un pari

fou sur la croyance du spectateur, une manière de penser le cinéma comme une métamorphose absolue. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si Duras ira jusqu’à choisir l’écran noir (dans L’Homme atlantique – ndlr), qui est l’aboutissem*nt des cinéastes de la métamorphose, l’anéantissem*nt total. Votre film sort quelques mois après Bird People de Pascale Ferran, un autre récit de métamorphose. Croyez-vous qu’il y ait une interrogation commune et émergente de cinéastes autour de ce motif ? Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’une métamorphose dans Bird People, où la transformation me semble plutôt être un état passager, voire un songe, avant le retour à l’humanité. Mais nos deux films ont sûrement ceci en commun qu’ils utilisent la métamorphose comme un outil, un concept, pour interroger la fiction, la forme. La métamorphose met en crise le romanesque, qui est construit sur une évolution des personnages à la suite d’événements logiques. Elle ouvre de nouvelles pistes. Après, je ne crois pas que ce soit vraiment une idée neuve. Je pense par exemple à Comment je me suis disputé… de Desplechin, à cet échange téléphonique entre Mathieu Amalric et Marianne Denicourt, où elle lui dit: “Je crois que je t’ai changé depuis que je te connais.” On retrouve souvent ce genre de métamorphoses dans le cinéma français, surtout dans les fictions amoureuses. Les histoires d’amour nous changent, on mute en fonction de nos rencontres, de nos âges et de nos partenaires, selon cette idée qu’il y a plusieurs moi, que l’on est multiple. La métamorphose n’est pas qu’une question de pure fiction ou de forme en définitive, c’est aussi un repère précieux dans la constitution de nos intimités. lire critique du film pp. 74-75 3.09.2014 les inrockuptibles 69

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la condition animale Entrée de plain-pied dans l’anthropocène, une génération deplasticiens s’intéresse aux mondes non-humains, et notamment au règne animal. Pour tenter de mieux interroger la place des hommes.

photo Lionel Roux

par Claire Moulène

T

héorisée par la philosophe féministe Donna Haraway dans son Manifeste cyborg, starifiée par Ridley Scott dans Blade Runner, la figure du réplicant a hanté l’art des années70 et 80. Si ce penchant

bionique connaît un regain d’actualité dans les travaux des hyperconnectés Ed Atkins, Helen Marten ou Antoine Catala, on assiste parallèlement, chez d’autres, à une réorientation de cet art de la mutation qui fait

basculer toute une jeune génération d’artistes d’un art posthumain à la question du non-humain. “Que se passe-t-il quand l’homme cesse d’être la mesure de toute chose ?”, s’interrogent ces artistes taraudés par l’imaginaire de l’anthropocène,

ce nouveau sésame intellectuel qui depuis quelques années prend la mesure de l’impact irréversible de l’homme sur la nature. Des artistes qui lorgnent non plus du côté de la machine et de l’avatar mais vers une

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que se passe-t-il quand l’homme cesse d’être la mesure de toute chose ?

Pierre Huyghe, Colony Collapse dans le cadre de To the Moon via the Beach (Arles, juillet 2012)

forme d’animalité et d’étrangeté qui, comme l’explique Quentin Meillassoux (le penseur de toute une génération), cultive une certaine indifférence à nous. C’était très clair lors des démonstrations de Pierre Huyghe à Kassel, à Arles

et au Centre Pompidou, où l’espace d’exposition se cultivait comme un biotope, avec ses règles propres, son climat, sa faune et sa flore. Où les œuvres vivaient leur vie, se pollinisant les unes les autres, flirtant avec le temps long du

monde animal ou végétal dans une perspective d’autonomisation de l’art que poursuit également le jeune artiste argentin Adrián Villar Rojas, propriétaire depuis cette année d’un terrain vague situé dans la périphérie de Mexico, une portion de paysage qu’il entend observer et scénariser au fil des ans. La série des Mesures, initiée il y a deuxans par le duo Giraud et Siboni, s’intéresse, elle aussi, à d’autres temporalités que celle liée à la perception humaine. C’était le cas avec La Mesure Louvre, tournée dans l’accélérateur de particules situé sous le plus vieux musée du monde. Pour les deux artistes, il était alors question de confronter “cette machine qui voit en dehors de tout spectre humain et ce temple d’une certaine politique du regard”. Ou encore leur Mesure minérale, un plan fixe dans l’aile de minéralogie du Muséum national d’histoire naturelle, créé, comme le Louvre, en 1793, et dont l’objectif inavoué était de mettre à notre mesure des temps justement “indifférents à notre présence, de les mettre sagement dans des vitrines, d’en faire des objets de savoir et de plaisir esthétique”. “Quand nous l’avons visité, alors qu’il était fermé et dans un état de décrépitude assez avancé, nous nous sommes demandé si ce musée lui-même n’était pas en train de retourner à son état minéral”, commentent encore Giraud et Siboni. En aurait-on donc fini avec la “mesure-homme”,

pour reprendre leur formulation, ce que d’autres appellent encore l’anthropocentrisme ? “La lecture un peu naïve que certains font du ‘réalisme spéculatif’ de Meillassoux, en se disant “on va faire un film pour les animaux ou des opéras pour les cailloux”, c’est prendre le problème à l’envers”, analyse l’artiste Fabien Giraud qui avec d’autres (Tomás Saraceno, Lise Autogena &Joshua Portway…) participera en octobre à l’opération Anthropocène monument orchestrée par Bruno Latour aux Abattoirs de Toulouse. “Mais si, malgré tout, on ne peut penser la géologie ou l’inerte que localement et non depuis la globalité, si on ne peut penser que depuis notre condition d’hommes, alors il faut repenser le rapport de la localité à la globalité, comment s’opèrent ces voisinages entre des mondes distincts et un possible glissem*nt de frontières.” “Il n’y a pas de règne, ni de l’homme ni de la bête, mais seulement des passages, des souverainetés furtives, des occasions, des fuites, des rencontres”, écrivait à ce propos le philosophe Jean-Christophe Bailly dans Le Versant animal paru en 2007. Des rendezvous occasionnels que provoque par exemple la peintre Miriam Cahn, présentée cet été dans l’exposition asséchée humainnonhumain d’Anne Bonnin. Avec ses aquarelles de corps hybrides et ses portraits frontaux de végétaux, cette artiste que l’on retrouve à la rentrée au Centre culturel suisse 3.09.2014 les inrockuptibles 71

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autonomes avec lesquels nous partageons l’espace du vivant, comme le proposait Tristan Garcia dans Mémoires de la jungle (Gallimard, 2010), qui racontait à la première personne l’histoire de Doogie, chimpanzé élevé comme un être humain qui tente de renouer avec son animalité, ou le formalise en cette rentrée le critique d’art Paul Ardenne à travers un livre et une expo consacrés à la représentation de l’oiseau. “Qu’est-ce que ça signifie être né sous une forme plutôt que sous une autre ? Que signifie cette sorte de destin qui module notre sens du rythme et nos expériences du temps et de l’espace ?”, se demande ainsi Paul Ardenne dans Comment je suis oiseau, roman expérimental et émouvant dans lequel il décortique cette croyance qui l’habitait enfant: celle d’être un oiseau dans un corps humain.

Miriam Cahn

(ParisIIIe) déploie un bestiaire imaginaire travaillé par la question de l’indistinction. Chez Guillaume Leblon, qui partageait l’affiche avec Miriam Cahn au printemps à la Galerie Jocelyn Wolff et présentait cet été à Villeurbanne une expo paysagée, au bord de l’effondrement, on retrouve cet intérêt pour l’empreinte du vivant et les œuvres-fossiles (dont les tableaux accidentels de plâtre et de mousse dans lesquels il imprime seiches, soles et autres bizarreries aquatiques). Le nouvel horizon de ces artistes n’est donc plus tant la recherche d’une alternative technologique à la disparition programmée de l’espèce humaine qu’une “promenade dans des mondes inconnus”, pour reprendre l’expression de Jakob von Uexküll dans un ouvrage culte publié en 1934, Mondes animaux et monde humain. Et l’exploration de langages et de systèmes

Miriam Cahn, Mich Betrachten (2012)

mort et renaissance

Matthew Barney, River of Fundament (2014)

photo Hugo Glendinning

Le film-opéra de Matthew Barney accompagne la réincarnation de Norman Mailer et d’une automobile anthropomorphe. En cette rentrée 2014, c’est une version autrement plus baroque des métamorphoses, qui dégaine les références àla mythologie, que Matthew Barney et le musicien Jonathan Bepler délivrent dans River of Fundament, un opéra filmé de presque sixheures. Dans ce palais de la mémoire, chaque étage (l’appartement de feu l’écrivain Norman Mailer –à qui Barney emprunte pour partie le scénario de Nuit des temps–, la rivière souterraine, les échappées à Detroit, dans le Queens etdans le Michigan) est le réceptacle d’un état du monde et des personnages, reconduits d’un niveau à l’autre à travers des séquences chausse-trappes. Ici, chaque personnage se voit doté de plusieurs vies. Un capital symbolique qui permet au double d’Osiris (roi d’Egypte et créature divine incarné par Barney) d’échapper à son sarcophage pour donner naissance post mortem à Horus. Et guide John Buffalo Mailer, acteur et fils de Norman dans lavraie vie, fantôme et double spirituel de son père dans le film, versla résurrection après une stupéfiante scène d’éventrement animal. Hanté par les thèmes de la décomposition et de la renaissance, de ses personnages comme des motifs qui lui sont chers (quand Barney, non content de se promener dans l’histoire de l’art et de la littérature, revisite aussi sa propre imagerie), ce nouveau fait d’armes du plus lyrique des artistes contemporains résonne comme l’écho de l’ancien monde.C. M. River of Fundament de Matthew Barney et Jonathan Bepler, les 24 et 25 octobre à la Cité de la Musique, Paris XIXe, citedelamusique.fr, dans le cadre du Festival d’automne à Paris

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Métamorphoses de Christophe Honoré L’auteur des Chansons d’amour emprunte une direction imprévue en adaptant la poésie d’Ovide et renouvelle avec éclat son inspiration.

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ans une banlieue indistincte, de nos jours, une lycéenne prénommée Europe rencontre un jeune et beau camionneur qui prétend être Jupiter, le dieu des dieux. Ils font l’amour sur un talus. Et Jupiter commence à lui raconter des histoires, comme celle d’Io, par exemple, qui fut transformée en génisse pour échapper à la colère de Junon, l’épouse de Jupiter le volage… Europe semble perplexe: qui est ce type si séduisant ? Un dieu ou un fou ? Après Les Bien-Aimés, son précédent film, qui aurait pu penser que Christophe Honoré allait réaliser une adaptation des Métamorphoses d’Ovide ? Un amateur de théâtre ? Car entre ces deux films,

Honoré a monté à Avignon une pièce sur le Nouveau Roman à partir des textes de ses principaux écrivains (Sarraute, Duras, Robbe-Grillet…). Et c’est peut-être là qu’il faut aller chercher le désir des Métamorphoses: d’une volonté de se libérer des contraintes de la narration. “Comment réaliser un film sans une histoire, mais avec plein d’histoires ?” semble se demander le film. Un désir qui était déjà présent dans Non ma fille, tu n’iras pas danser, puisque Christophe Honoré s’y autorisait déjà une digression sous forme de conte breton. Il y a, sous l’apparente versatilité d’Honoré, sa protéiformité de cinéaste (il se renouvelle de film en film), une cohérence parfaite, et donc rien d’étonnant à ce qu’il adapte

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il y a chez Honoré une volonté quasi politique ou en tout cas esthétique de renouveler le cinéma

l’œuvre encyclopédique et poétique d’Ovide –qui y recense, rappelons-le, l’histoire des hommes et des dieux jusqu’à sa propre époque, le Ier siècle après JC. Jamais sans doute Christophe Honoré n’avait autant travaillé l’image qu’ici. Métamorphoses se situe ainsi, dans son paganisme et un bonheur évident à filmer la nature, dans la lignée de Jean Renoir sur son versant dionysiaque. Bien plus que dans celle de deux illustres adaptateurs au cinéma de la mythologie : Pier Paolo Pasolini (même si Honoré a recours, comme ce dernier, à des inconnus pour incarner des dieux) ou Jean Cocteau (plus théâtral). On pourrait aussi penser aux Straub, ou encore à la Nouvelle Vague, dans la filiation de laquelle certains ont reproché à Honoré de trop vouloir s’inscrire. Comme eux, il ancre ce rapport à la nature dans la contemporanéité –le film a été tourné dans les cités du sud de la France ou autour. Souvent enchâssés les uns dans les autres (un flash-back dans un flash-back), les récits, pour la plupart très connus (Œdipe, Tirésias, Argus, Philémon et Baucis, etc.), se succèdent et se multiplient au fil de la pensée de son narrateur, l’un appelant le suivant, avec une grâce certaine

et une incongruité qui rappellent le roman picaresque. Transposés aujourd’hui, ces contes pourraient paraître ridicules (d’autant plus que le cinéaste n’hésite pas non plus à jouer sur l’humour de certaines situations ou de certains dialogues –Junon est désopilante, par exemple). C’est le premier miracle du film. Avec une caméra qui semble sans cesse caresser ses acteurs (pour la majorité des non-professionnels), le réalisateur nous fait éprouver de la tendresse pour ces êtres qui sont pourtant moins des personnages que des entités avec quelques caractéristiques très délimitées, des rouages sans épaisseur psychologique dans l’économie du récit mythologique. Cette légèreté des personnages (à laquelle contribue le jeune âge de la plupart des interprètes) participe du charme du film. Ce retour aux sources de notre inspiration européenne, des mythes gréco-romains qui irriguent notre culture et qui nous habitent inconsciemment, permet à Honoré de sortir son cinéma et le cinéma de ce “naturalisme” (entre guillemets, car le mot est utilisé à tort et à travers), cette imitation forcée et artificielle du naturel, souvent décriée par une partie de la critique actuelle. Il y a donc chez lui une volonté quasi politique ou en tout cas esthétique de renouveler le cinéma. Métamorphoses. Car il y a autre chose de plus beau encore, et qui émerge dans ce magnifique dernier plan où Europe nage nue dans une rivière: les histoires, vraies ou fausses, embellissent la vie et le monde. Et le cinéma raconte lui aussi plein d’histoires. La métamorphose, c’est en effet un humain qui devient un arbre, ou une vache qui était une femme ou une nymphe. Ou un enfant qui devient un adulte. Mais c’est aussi un spectateur qui ressort un peu différent d’un film qu’il a vu. Les films nous changent. C’est la dernière et la plus belle des métamorphoses que propose ce film-manifeste de Christophe Honoré. Jean-Baptiste Morain Métamorphoses de Christophe Honoré, avec Amira Akili, Sébastien Hirel, Mélodie Richard, Vimela Pons (Fr., 2014, 1 h 42) lire dossier pp.64-72 3.09.2014 les inrockuptibles 75

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Délivre-nous du mal de Scott Derrickson avec Eric Bana, Edgar Ramírez (E.-U, 2014, 1 h 59)

Obvious Child de Gillian Robespierre

Entre Louis CK et Lena Dunham, un premier film revendicatif et drôle sur une comédienne de stand-up qui fait le choix de l’IVG.

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bvious Child est une comédie romantique et n’a pas honte del’être. Boy meets girl, chassécroisé et happy end. Et comme pour un gâteau, tout est question de proportions: trop sucré ? troplourd ? trop de glaçage ? L’originalité dufilm tient à son petit goût acide et à deux ingrédients: le personnage féminin est une force de la nature menaçant de bouffer son partenaire masculin (comme Adèle Haenel dans Les Combattants, autre rom-com originalement dosée) ; l’avortement y est legros morceau qui résiste sous la dent. Lesujet est toujours épineux aux EtatsUnis: lorsqu’un droit acquis est traité du bout des doigts au cinéma (Juno, En cloque, mode d’emploi) sur le mode “si IVG, le film s’arrêterait au bout d’une demi-heure”, quelque chose doit coincer. D’emblée, le film nous jette en plein visage Donna, comédienne de stand-up au verbe acéré et à la vie personnelle chaotique. Elletombe enceinte après une nuit avec Max, garçon trop gentil, trop parfait. Larétention, ne pas (s’)avouer pendant une heure de film qu’on aime son promis sont une étape obligée de la rom-com: le cliché est joliment, douloureusem*nt retourné ici avec Donna, incapable d’avouer à Max et sa famille ce qui lui arrive, mais qui n’a aucun problème à utiliser ses rapports avec sonex pour un sketch. Il n’y a rien de plus éprouvant que le stand-up, psychothérapie publique improvisée, avec le patient maso affrontant seul les spectateurs. Jenny Slate, ellemême comédienne de stand-up, lui prête son énergie névrosée de bête de scène. Voix nasillarde mais entêtante, frêle et élastique,

Slate est aussi à l’aise avec les blagues surles pets que dans sa vulnérabilité defemme-enfant. Elle est l’“obvious child” du titre –on la voit se recroqueviller dans une boîte en carton ou dans le lit de maman. Onespère que le rôle propulsera une actrice dont le principal fait de gloire jusque-là fut d’avoir lâché involontairement un “f*ck” dans un sketch du Saturday Night Live face à une Kristen Wiig impassible. La cinéaste Gillian Robespierre emballe avec simplicité son premier long métrage dans un univers géographiquement proche de Louis CK et Lena Dunham (Brooklyn, hipsters fauchés, absence de fioritures, gros plans), et dont Slate/Donna serait une cousine, mais avec le “visage d’Anne Frank”. Obvious Child est vif, revendicatif mais nuancé. Et rappelle que l’humour est encore la meilleure défense face à un monde hostile. Tout est dit dans une réplique de Donna à son docteur: “Jevoudrais un avortement, s’il vous plaît. Oui, bon, ça a l’air indélicat, comme si je commandais à manger… mais je voudrais un avortement, s’il vous plaît.” Si le message est clair (deux personnages du film ont eu une IVG et n’ont aucun regret), le film met cette décision en perspective, avec des mots qui font mal, la soupesant et la dédramatisant en même temps. Un acquis fondamental oui, mais dont les conséquences ne doivent pas vous hanter toute votre vie. Voici le meilleur tract pour rappeler que, sion l’ignorait, les femmes ont des droits etsont drôles. Léo Soesanto

Un tract catho maquillé en film de possession: gênant. Dans l’atmosphère fangeuse d’un New York criminel, exactement calquée sur celle de Seven, un flic se retrouve impliqué dans une sombre affaire demeurtre démoniaque, dont il va devenir peu à peu la première victime. Sa faute, comprendra-t-on très vite, est qu’il n’a plus la foi: il refuse d’aller à l’église, nes’est pas confessé depuis des lustres et oppose unmépris scientifique aux manifestations du diable. Illui faudra alors un exorcisme, un baptême, etquinze cadavres sur ledos pour retrouver in fine le chemin de la lumière, à la faveur d’un happy end siprévisible et idiot qu’onnous pardonnera dele révéler. Voilà pour leprogramme cathocompatible de Délivre-nous du mal, le dernier méfait de Scott Derrickson (remember L’Exorcisme d’Emily Rose), un nouveau film de possession hyperformaté qui exploite et détourne les codes du cinéma horrifique au profit d’un prêchi-prêcha indigeste. Rien de grave, aufond, dans cette informe série B qui tente de surfer sur le succès des grosses productions religieuses US, si ce n’est de mesurer l’étatde régression total auquel semble condamnée l’horreur, ex-laboratoire decinéastes contestataires devenu le refuge de faiseurs et de prosélytes un peu gâteux. Romain Blondeau

Obvious Child de Gillian Robespierre, avec Jenny Slate, Jake Lacy, Gaby Hoffmann (E.-U., 2 014, 1 h 24)

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Maintenant ou jamais de Serge Frydman Bonne pioche: un drame simple qui a le don de mêler insidieusem*nt trouble amoureux et suspense policier. ui a dit que les films “du milieu” seraréfiaient en France ? (PascaleFerran). Ou bien c’était un contresens, ou bien il y a du progrès: ils constituent désormais l’épine dorsale denotre cinéma national. Celui de Serge Frydman en est un excellent exemple: unfilm de qualité, comme on disait autrefois, sans casting ronflant, ni moyens faramineux… Sujet au diapason: le drame ordinaire d’une famille endettée (on pense pas mal au mélo de Cédric Kahn Une vie meilleure avec, comme ici, Leïla Bekhti). Et pourtant, malgré son évidente modestie, sa facture passe-partout, ce petit film légèrement tiré par les cheveux

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aquelque chose de miraculeux. Il parvient comme jamais à estomper la frontière entre deux genres très codés –en l’occurrence lepolar et le drame romantique–, voire àles imbriquer de façon excitante. Serge Frydman, cinéaste peu prolifique (c’est sa deuxième réalisation en dix ans), qui a essentiellement œuvré comme scénariste (notamment pour Patrice Leconte, hum), met en évidence mieux que quiconque l’aspect sexuellement émoustillant du vol (en l’occurrence un braquage de banque), tout en éludant quasiment les scènes d’action. Il exprime idéalement le trouble sensoriel qui surgit insidieusem*nt entre une mère de famille aux abois et le voleur

de son sac à main, lorsqu’ils s’embarquent ensemble dans un braquage. En jouant constamment sur l’incertitude entre les registres (peur de se faire prendre et attraction sexuelle), le film marque despoints. On aurait rêvé d’un cinéaste àl’américaine plus virtuose et styliste (comme Gray, Scorsese ou Mann), mais on ne boudera pas son plaisir devant cette joute romantique portée par des comédiens vibrants comme Leïla Bekhti et NicolasDuvauchelle. Vincent Ostria Maintenant ou jamais de Serge Frydman, avecLeïla Bekhti, Nicolas Duvauchelle (Fr., Bel., 2014, 1 h 35)

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Boys Like Us de Patric Chiha Le road-movie tyrolien de trois potes gays trentenaires à l’heure du premier bilan sentimental.

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es Alpes deviendraient-elles lenouvel horizon du cinéma français ? Après la Suisse d’Olivier Assayas, voilà le Tyrol de Patric Chiha. Mais aussi éloigné de la complexité cristalline de SilsMaria que de l’élégance étrange et sombre de son premier film, Domaine, Chiha nous embarque sur la piste d’une comédie déceptive trentenaire. Trois amis hom*os, prototypes de hipsters parisiens, décident de partir vivre dans lesmontagnes autrichiennes dont l’un d’eux est originaire. La situation canonique du retour au pays est ici infusée par un humour résultant du décalage culturel et langagier entre labranchitude parisienne et la“provincialitude” tyrolienne: cegenre de matériau pourrait tourner à la gross rigoladen franchouillarde, façon Onteniente ou Dany Boon, mais heureusem*nt, Chiha est beaucoup plus fin que çaet a opté pour un golri subtil àmèche lente. Ainsi, la collision entre nos gayvroches en vadrouille (jeans, baskets, T-shirts, ironie urbaine ensautoir…) et les codes locaux (chalets en rondins, gros édredons, horloges à coucous, lenteur, calme villageois…) produit une succession de situations cocasses, à la fois

unpeu prévisibles et souriantes malgré tout. Boys Like Us ne joue pas du tout la partition facile quiconsisterait à prendre le Tyrol dehaut puisque son humour touche aussi bien l’Autriche provinciale que les trois bobos parigots. Comme dans toute bonne comédie, le rire est ici une élégance, une politesse, qui laisse place à une veine plus grave, plus mélancolique où sonne l’heure despremiers bilans en cette phase de transit prolongé qu’est l’adulescence: amours, travail, oùen est-on à 30ans ? Boys Like Us parle aussi de la dynamique degroupe, des flux d’énergie, dedéception, de solidarité et deras-le-bol qui font, défont ou refont les petites bandes d’amis. Un film sur l’amitié qui est aussiun film d’amitié puisque lescomédiens, peu célèbres, connaissent le réalisateur delongue date: cet “entre potes” dutournage du film à son sujet faittout le prix d’une comédie certes pas immense mais pleine d’uncharme fragile. Serge Kaganski Boys Like Us de Patric Chiha, avec Florian Carove, Raphaël Bouvet, Jonathan Capdevielle (Fr., Aut., 2014, 1 h 30)

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Hippocrate de Thomas Lilti Boosté par un arrière-plan documentaire, un film à suspense sur le milieu hospitalier nourri de l’expérience du réalisateur.

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a grande précision documentaire n’est pas la seule réussite d’Hippocrate, mais c’est la plus évidente, la plus immédiate. Avant de réaliser des films, Thomas Lilti soignait des patients. Il lui arrive encore, d’ailleurs, d’être à leur chevet, entre deux projets cinématographiques –LesYeux bandés, son précédent et premier long métrage en 2007, ou Télé Gaucho de Michel Leclerc dont il a coécrit en 2012 le scénario. Il fait donc plus que savoir ce dont il parle: il le pratique. Se déroulant entièrement dans un hôpital, Hippocrate suit la trajectoire quelque peu chaotique d’un interne à peine débarqué aux urgences (Vincent Lacoste, qui trouve ici matière à affiner son éternel personnage de loser lunaire inventé chez Riad Sattouf) dans le service de son père. Bleu au milieu des blouses blanches, il s’avère piètre praticien et supporte mal la concurrence d’un autre

nouveau venu, d’origine algérienne (ça aura son importance), aussi perfectionniste qu’hautain, et interprété par le toujours intense Reda Kateb (quelque part entre l’exigeant Dr.Benton d’Urgences et le psychorigide Dr.House, inévitables boussoles du genre). Thomas Lilti s’est évidemment nourri de son expérience (comme généraliste), d’anecdotes personnelles ou de témoignages au plus près du terrain. Sont ainsi passées en revue, avec une justesse qu’on ne saurait reprocher au cinéaste, toutes les tares de l’institution hospitalière française, de la vétusté du matériel à l’épuisem*nt des troupes, en passant par le recours à une main-d’œuvre étrangère peu considérée (problème peu connu mais révélateur d’un paternalisme latent). Aussi vertueuses soientelles, précision et justesse n’ont cependant jamais suffi à définir un bon film, et la réussite de celui-ci réside

ailleurs. Il y a dans le cinéma social-sociétal français (exemplairement Polisse) une tendance à se complaire dans la petite leçon de choses, à faire mousser la moraline dans le bain du sacro-saint Réel. Or, si Hippocrate finit par s’adonner à ce penchant à la toute fin (scène “coup de gueule” dispensable), il l’évite allègrement le reste du temps. Par une mise en scène fonctionnelle et inspirée, et grâce à un casting excellent (notamment les personnages secondaires), Lilti offre le portrait ambivalent d’un univers aseptisé seulement en surface, où romanesque et comique ne cessent de poindre entre les coutures du film-dossier. Sans doute pas le choc formel de l’année, mais un modèle de cinéma populaire qu’il convient de saluer. Jacky Goldberg

Hippocrate de Thomas Lilti, avec Vincent Lacoste, Reda Kateb, Marianne Denicourt (Fr., 2014, 1 h 42)

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Piège de cristal de John McTiernan A l’occasion de la sortie d’une version numérique restaurée, retour sur la matrice de vingt-cinq ans de films d’action (et de jeux vidéo).

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ans un bâtiment contrôlé par des terroristes, le héros se fraie un chemin, flingue en main, topographie des lieux en tête et un marcel vite souillé comme uniforme. Piège de cristal ? Non, White House down en 2013, avec Channing Tatum à la place de Bruce Willis. Un quart de siècle plus tard, le chef-d’œuvre de John McTiernan est un horizon indépassable du cinéma d’action. On le retrouve compressé dans la série 24Heures Chrono (un épisode de la saison5 où Jack Bauer se retrouve dans le conduit d’aération d’un aéroport attaqué) ou dégraissé dans The Raid (Piège de cristal avec des coups de pied). La malédiction de John McLane est d’être au mauvais endroit, au mauvais moment. Le timing du film dans l’histoire de l’entertainment est par contre impeccable. Piège de cristal est très américain, mais piégé de l’intérieur, à l’image de son scénario de western, de défense d’un territoire/propriété qui est l’essence du genre. Traité avec mépris de “cowboy”, McLane est tout seul dans un Fort Alamo eighties (un gratte-ciel, en fait propriété de Japonais), assiégé par les flics et infiltré par des Européens: le chef op hollandais Jan de Bont, futur réalisateur de Speed (Die Hard dans un bus), et les méchants du Vieux Continent, menés par Alan Rickman dont l’élégance, suspecte, contraste avec le côté working class de Willis. Connu alors pour son humour et son charme dans la série Clair de lune, Bruce Willis proposait une alternative séduisante à Stallone et Schwarzie: moins bodybuildé, plus sarcastique et mordant, qui n’a pas du tout envie d’être là mais fait son job. Quelqu’un à qui le public peut mieux s’identifier. Si le cinéma d’action US de

l’époque symbolisait le reaganisme (la réussite individuelle hypertrophiée), John McLane annonçait l’hyperpuissance US soft des Clinton ou Obama, maîtres des bombes atomiques et des drones, mais cool. Bruce ouvrira aussi la voie à Matt Damon (la série des Jason Bourne) et Chris Pratt (Les Gardiens de la galaxie), qu’on n’aurait pas forcément vu mouiller leur chemise pour sauver le monde. Dans les années90, Piège de cristal verra une flopée d’épigones vouloir copier la formule “un lieu/un héros”: Piège en haute mer, Mort subite, Passager 57… Mais aucun n’aura sa fluidité de mise en scène, ses scènes lisibles et soigneusem*nt éclairées –flammes de briquet ou d’explosion, à l’ombre d’un store ou dans la fumée, McTiernan a l’œil précis. Steven Seagal ou Jean-Claude Van Damme n’auront pas l’humanité lasse de McLane. Ironiquement, les héritiers directs les plus efficaces de McT/McLane seront européens, avec de Bont ou le Finlandais Renny Harlin (Cliffhanger). Ce dernier signera la suite de Piège de cristal, 58minutes pour vivre, en un peu plus cartoon. Les futurs épisodes (le 4 et le 5 surtout) confirmeront que McLane, ici de chair et de sang, était prêt à se désincarner comme tout le cinéma d’action. Tout était programmé autour de lui: les surfaces de verre comme des écrans, les niveaux labyrinthiques à franchir, l’équipement à récolter, le joueur solo... Piège de cristal annonçait le first person shooter. Le jeu vidéo moderne. Léo Soesanto Piège de cristal de John McTiernan, avec Bruce Willis et Alan Rickman (E.-U., 1988, 2 h 11, reprise) à voir rétrospective John McTiernan du 10 au 28septembre à la Cinémathèque française, ParisXIIe, cinematheque.fr 3.09.2014 les inrockuptibles 83

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à suivre… Keanu Reeves programmé Il n’est que le dernier d’une longue liste d’acteurs de cinéma qui franchissent le pas: le héros de Matrix va tenir le premier rôle dans Rain, une série d’action adaptée des romans de Barry Eisler dont le personnage principal est un tueur à gages. Aucun diffuseur n’a été confirmé pour l’instant, le projet étant encore en développement.

Real Humans débranchée ? Guy Levy/BBC

Le nouveau docteur (Peter Capaldi) et son assistante Clara (Jenna Coleman)

what’s up doc ? Doctor Who, la série anglaise mythique, est de retour avec le séduisant Peter Capaldi dans le rôle-titre.

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oujours prompts à dominer lemonde d’une manière ou d’une autre, les Anglais ont inventé la formule télévisuelle magique: une série qui se régénère toute seule. Voilà cinquante et unans que dure Doctor Who, emblème indéboulonnable de la pop culture du royaume et sommet de la SF ludique. Sa plus belle invention ? Un personnage principal en forme d’action hero ultime, qui meurt de façon régulière avant de renaître, doté d’une nouvelle enveloppe corporelle et donc d’un nouvel acteur. Différence et répétition, mon beau souci. La série a connu une interruption entre 1989 et 2005, l’heure du reboot contemporain signé Russell T. Davies, l’auteur de Queer as Folk. Pleine de vitalité, elle se trouve aujourd’hui au centre du jeu sériel, y compris aux Etats-Unis, où elle connaît un succès massif après avoir été longtemps ignorée. Depuis le 23août, Doctor Who propose la douzième version de son fameux docteur capable de voyager dans le temps, incarné cette fois par Peter Capaldi, 56ans, en remplacement de Matt Smith. Le moins que l’on puisse dire est que cet acteur grisonnant –croisé dans de nombreux films et dans plusieurs séries intéressantes comme The Thick of It– se saisit du costume

Steven Moffat est le scénariste le plus en vue de l’autre pays des séries

avec une aisance stupéfiante. Le premier épisode, consacré à son intronisation, nous prend par la main en le présentant sous tous les angles et en multipliant les blagues sur son apparence. En réalité, aucun effort d’adaptation n’est vraiment nécessaire devant cet homme à la séduction un peu inquiétante, qui trouve sans délai sa place dans l’écriture à plusieurs niveaux de Steven Moffat. Très à l’aise dans les changements de ton brutaux (il peut passer de la parodie à la tragédie en quelques instants), Moffat est le scénariste le plus en vue de l’autre pays des séries, depuis qu’il a imaginé l’incroyable Sherlock avec le non moins incroyable $$. A la tête de Doctor Who depuis 2009, l’Ecossais aime non seulement cumuler les casquettes mais aussi jongler avec les codes ancestraux du récit épique à l’anglaise, tout en restant accroché à une vitesse narrative virtuose et très contemporaine. Cela donne un Doctor Who où tout est possible, comme l’apparition d’un T-Rex sur les rives de la Tamise ou un baiser lesbien dont l’une des protagonistes arbore une tête de lézard. Une série dont on accepte leseffets spéciaux passés de mode parce qu’elle le fait exprès. Une réussite implacable dans son genre, à partir de laquelle on peut juger l’état général d’une industrie. De l’autre côté de la Manche, quand le docteur va bien, tout va bien. Olivier Joyard Doctor Who nouvelle saison depuis le 23août, disponible sur Itunes, prochainement sur France4

Selon le site spin-off.fr, lachaîne suédoise SVT a décidé de ne pas commander unetroisième saison de cette excellente série, après une baisse d’audience significative et surtout unchangement de président. Le créateur Lars Lundström n’a pas confirmé l’info, estimant qu’une infime chance de retour restait possible. Par exemple, une coproduction avec Arte, son diffuseur français ?

renouvellements ensérie Après être passée très près de l’annulation, la très bonne série sur les débuts de l’ordi perso, Haltand Catch Fire, a été renouvelée par AMC. Plusieurs autres chouchous maison reviendront également l’année prochaine, comme Happy Valley (BBC One), Ray Donovan et Masters of Sex (Showtime) ainsi que Rectify (Sundance Channel).

agenda télé Shameless (Canal+ Séries, le 7 à 20 h 50) Déjà la quatrième saison de cette adaptation US plutôt mieux que l’originale british –ce qui est rare. La famille dysfonctionnelle, grand sujet des séries, est ici poussée dans ses retranchements. Boardwalk Empire (OCS City, le 8 à 20 h 55) Pas toujours d’une légèreté exemplaire, la série historique de Terence Winter a malgré tout su tenir le cap durant plusieurs saisons. La cinquième qui commence sera la dernière. The Leftovers (OCS City, le 8 à 21 h 50) Fin de la première saison intrigante de cette série de science-fiction ultra triste cocréée par Damon “Lost” Lindelof. La seconde, prévue l’été prochain, devra faire encore mieux.

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Jordan Strauss/AP/Television Academy

Breaking Bad: dernier triomphe Multirécompensée, la série de Vince Gilligan a fait ses adieux définitifs lors des Emmy Awards. a série Breaking Bad a à ce point marqué 2013 qu’on avait fini par oublier que les 66eEmmy Awards pouvaient encore récompenser son ultime saison. C’est ce qui est arrivé le 25août, et pas à moitié. La série de Vince Gilligan a fait ses adieux définitifs en remportant quasiment tous les prix pour lesquels elleétait nommée, du côté des acteurs (Anna Gunn, Aaron Paul, Bryan Cranston), du scénario (Moira Walley-Beckett), sans oublier la statuette de meilleure série dramatique, au nez et à la barbe de Game of Thrones ou True Detective. Cette dernière est d’ailleurs apparue comme la perdante de la soirée (ainsi que HBO) avec un seul prix remis au réalisateur Cary f*ckunaga, qui n’a même pas remercié lors de son passage sur scène le créateur

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Bryan “Heisenberg” Cranston, le 25 août aux Emmy Awards

Nic Pizzolatto, avec lequel il fut en conflit durant le tournage. Pizzolatto a payé cher son arrogance et doit déjà fomenter sa revanche pour l’année prochaine –il termine l’écriture de la saison2. Dans une cérémonie assez conservatrice, concernant notamment la comédie (Modern Family a ENCORE gagné), on notera quelques satisfactions pour Louie

(scénario de comédie), Allison Janney (meilleur second rôle comique), Fargo (meilleure minisérie) et Sherlock (trois Emmys). Pour le reste, Lizzy Caplan, la bombe de Masters of Sex, ainsi que lescréations Netflix (House of Cards et Orange Is the New Black) ont été plutôt injustement boudées. C’est ce qui s’appelle avoir un train de retard. O.J.

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habits de lumière Les Kooks tiennent enfin leur revanche sur des années d’impasse créative et de tourments intimes. “Lamétamorphose m’a toujours intéressé”, explique Luke Pritchard, chanteur et songwriter apaisé.

D Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ans le tourbillon qui suivit lasortie de leur premier album (2006), les Kooks sont passés en un éclair du statut d’illustres inconnus à celui de jeunes prodiges outreManche. Ils prirent alors l’habitude de se plier docilement au cahier des charges de la pop anglaise, pour le meilleur (fougue contagieuse, refrains immédiatement familiers) et pour le pire (ambition démesurée, disputes de cour de récré avec les Arctic Monkeys ou Razorlight). Après avoir consigné des merveilles dans leurs deux premiers albums, ils se perdent sur le troisième, en2011, au bord de l’implosion. Luke Pritchard, leur leader, en panne d’inspiration, meurtri par le décès de son grand-père dont il était très proche, et par une rupture sentimentale s’embourbe dans la marée noire et l’autodestruction: “Les habitudes créent l’ennui, déclare-t-il. On a commencé à tourner en rond, à utiliser les mêmes

accords et les mêmes rythmiques… Je n’étais plus satisfait de rien et je n’avais rien d’autre en dehors de la musique.” Trois ans plus tard, s’il semble inchangé physiquement, avec son air d’éternel ado aux bouclettes indisciplinées, il est psychiquement méconnaissable, conscient d’avoir retrouvé lumière, sagesse et sérénité. Il a réussi à sortir d’une voie qu’on croyait sans issue en s’extirpant de sa zone de confort: un nouveau son, une nouvelle approche d’écriture, mais aussi un nouvel appartement londonien dont il nous ouvre les portes tandis qu’un vinyle de Fred Neil tourne sur la platine. “J’ai eu besoin de tout déconstruire pour pouvoir recommencer. C’est dingue de voir qu’une période aussi sombre peut déboucher sur des changements aussi positifs.” Rien de plus révélateur que de rencontrer un musicien chez lui, entouré de ses livres de chevet et des disques qui ont jalonné son éducation musicale. Sans surprise, on aperçoit les bios de Keith Richards,

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“le gospel m’a inspiré une sensation de puissance, le hip-hop l’idée de garder la tête haute quoi qu’il arrive” Luke Pritchard

Bob Dylan, Leonard Cohen, un coffret de l’intégrale de Gainsbourg et une rangée de 33t: Up the Bracket des Libertines, White Blood Cells des White Stripes, Pet Sounds des Beach Boys… Ils’extasie aussi sur L’Aigle noir de Barbara, qu’il vient de découvrir. Quand on lui demande comment est née sa passion pour la musique, il nous montre, dans sa cuisine, la photo encadrée d’un guitariste en concert. “C’est mon père. Il était musicien. Il est décédé quand j’étais très jeune et c’est à travers la musique que je me suis connecté à lui, en m’intéressant à ses guitares, aux disques et aux livres qu’il aimait. J’ai démarré tôt et j’ai toujours joué dans des groupes à l’école. Apart ma passion pour Blur et Oasis, j’ai toujours été attiré par des sons anciens, notamment des sixties, en fouillant dans l’énorme collection de disques de mon papa. J’ai commencé à écrire des chansons à 13ans et à partir de ce momentlà, tout est devenu plus simple: j’ai pu inventer mes propres règles.” Dès les débuts des Kooks, la pop a accueilli à bras ouverts leur premier album, Inside in/Inside out, où folk acoustique, skiffle, ska et rock’n’roll se côtoient à l’amiable, avec une flexibilité infinie. Plutôt logique venant d’un groupe qui tire son nom d’une chanson de David Bowie, le maître suprême de la transformation.

Mais ce goût pour les hybridations est encore plus impressionnant sur Listen, quatrième album en forme de mutation génétique. “Utiliser un ordinateur et me mettre à la production a été un déclic, raconte Luke Pritchard. Around Town est le tout premier titre que j’ai écrit pour cet album. J’ai programmé un rythme avec le sample d’un chœur de gospel. Je ne sais pas trop pourquoi, je voulais juste expérimenter. J’ai tout de suite senti que ça m’ouvrait à une nouvelle façon de composer. Voilà comment une seule chanson a tout changé.” En mars, la surprise fut de taille quand le groupe dévoila le premier extrait de Listen, Down, gorgé de funk et de malice. Enregistré entre Londres et LosAngeles avec le producteur hip-hop Inflo, ce nouvel album a été nourri par les dernières obsessions de Pritchard: la série d’albums Ethiopiques et Gainsbourg Percussions. “A l’origine, je voulais l’écrire sous forme de storytelling, mais Inflo m’a poussé à m’ancrer dans la réalité. Il m’a conseillé d’écrire les paroles de See Me Now comme une lettre à mon père.” Rédigées gorge serrée et frissons à fleur de peau, ce sont ses paroles les plus personnelles à ce jour. Pourtant, alors qu’il aurait pu tomber dans l’émotion facile et l’auto-apitoiement, la joie et l’espoir l’emportent. “Par le passé, on a pu jouer des mélodies ensoleillées, mais là je voulais atteindre l’euphorie. Le gospel m’a inspiré une sensation de puissance, le hip-hop l’idée de garder la tête haute quoi qu’il arrive.” Sur la pochette, conçue par l’artiste londonien Hayden Kays, le mot Listen et ses multiples traductions ornent un cœur humain – peut-être celui de Luke Pritchard, qui s’y dévoile, loin de ses fanfaronnades passées. NoémieLecoq album Listen (Mercury/Universal) thekooks.com

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la surprise Prince La rentrée s’annonce chargée pour Prince: le Kid de Minneapolis vient de lever le voile sur la sortie de non pas un, mais deux albums simultanés ! Il y aura en effet PlectrumElectrum, enregistré en live avec son groupe 3rdEyeGirl, et Art Official Age, en solo cette fois. Tous deux sortiront en France à l’automne, le même jour. Une tournée devrait suivre dans la foulée.

la Colombie débarque au Festival d’Ile-de-France C’est officiel, l’été parisien commence ce dimanche 7septembre, avec le Festival d’Ile-de-France. Sur le domaine de Villarceaux (dans le Vexin), une folle et longue journée de musique colombienne. Une dizaine de groupes (Frente Cumbiero, Alvaro Meza, LA-33, Cimarrón…), de la musique à danser (traditionnelle ou franchement electro), à manger et à boire… du 6 septembre au 12 octobre, www.festival-idf.fr

Oh le beau Bebey !

des nouvelles de Jessie Ware Après avoir intégré la nouvelle vague synthpop anglaise avec son premier album, Devotion, puis des collaborations prestigieuses avec SBTRKT et Disclosure, la belle Jessie Ware sera de retour en octobre avec un second essai titré Tough Love. Mais pas d’inquiétude, les premiers singles publiés promettent plus de douceur que d’amour vache.

Après avoir édité les enregistrements electro du musicien camerounais Francis Bebey, le label français Born Bad remet ça avec Psychedelic Sanza 1982-84, compilation de morceaux aussi rares qu’indispensables, trésors illicites et enchantés où Bebey emmène son petit piano à pouces (la sanza donc) dans la stratosphère afropsyché. Sortie en octobre, et soirée hommage à Francis Bebey le 29novembre au festival Africolor, avec son fils Patrick et l’équipe de l’émission L’Afrique enchantée. www.africolor.com

The Knife se sépare Lors d’une interview récente à Dazed, le duo suédois a affirmé sans détour: “Quand nous aurons fini la tournée en novembre nous arrêterons, c’est notre dernière. On n’a aucune obligation de continuer, ça devrait seulement et toujours être pour le fun.” La déclaration a ensuite été confirmée par le management du groupe. On peut donc commencer à fantasmer sur une future reformation de ce grand projet de pop tarée, qui nous manque déjà…

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Stevie Nicks Isaiah Dreads

Laurent Danicher Il y a des années, on recevait de Strasbourg une poignée de chansons sidérantes d’un crooner illimité, tonnant des histoires d’amour et de meurtre sur une musique de démesure, héritée de Polnareff ou Burt Bacharach. Miracle: ilmet enfin en ligne sa pop symphonique. Il faut lui faire enregistrer un album. Triple. danicher.bandcamp.com

Faire du grime quand on vient de la plus verdoyante campagne anglaise n’est pas fatalement le chemin le plus aisé. Isaiah Dreads, dès ses 13ans, a donc bâti à la dure sa réputation. Sans crew, sans frime, il est devenu un des nouveaux héros des sons urbains anglais Il a désormais 16 ans: la relève de la garde. isaiahdreads.com

Vashti Bunyan Au début des “noughties”, miracle d’internet, ses disciples retrouvent la chanteuse folk Vashti Bunyan, disparue depuis un album culte de 1970: Just Another Diamond Day. Grâce à ses fans-musiciens, elle sort le 6octobre un troisième album: Heartleap. Miracle: sa voix n’est toujours qu’amour et innocence. anotherday.co.uk

C’est une des réhabilitations les plus étonnantes, voire douloureuses, pour qui s’était construit –punk, post-punk– contre l’imagerie et le son du groupe: oui, Fleetwood Mac est hip en 2014. Et on attend même avec curiosité l’album solo de Stevie Nicks, compilant les chansons qu’elle n’avait jamais enregistrées. Bien bien. nicksfix.com

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Margaux Ract

“l’occupation quotidienne que constitue l’inadéquation est mon sujet de prédilection”

“j’aimerais posséder un hélicoptère” Enfin reconnu et adoré depuis son brillant et tordu troisième album Happy Soup, Baxter Dury revient avec It’s a Pleasure, puis des dates au festival les inRocKs Philips. Première interview, en vol libre.

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appy Soup aété ton premier album à connaître lesuccès: quel effet cela a-t-il eu sur toi ? Baxter Dury– Avoir un minimum de succès commercial permet simplement de continuer, de se financer, de payer lestudio ou d’amener ton pantalon en cuir au pressing (rires)… Mes albums ont été bien reçus dans la presse, des gens me disent les adorer, c’est super, la récompense artistique est formidable. Mais si je pouvais gagner un peu plus d’argent, ça m’irait aussi. J’aimerais posséder un hélicoptère. D’autres musiciens possèdent un hélicoptère: ce n’est pas mon cas, j’en suis inquiet. Comment expliques-tu ton succès en France ? C’est une anomalie.

Il doit exister une connexion génétique historique: mon patronyme, Dury, est lié à l’histoire de France d’il y a plusieurs millénaires, ça crée sans doute un lien fort avec les Français qui écoutent mes chansons. Ils doivent, inconsciemment, le sentir au cœur de leurs cellules (rires). Entre Happy Soup et le début de l’écriture de It’s a Pleasure, que s’est-il passé dans ta vie personnelle qui puisse avoir influencé l’album ? Avec le temps, on apprend à décrire les choses d’une manière différente, à trouver de nouvelles façons d’être excité à l’idée de raconter une histoire. Ensuite, tout vient du même endroit: c’est très égocentrique, je ne parle jamais vraiment d’autre chose que de

moi-même (rires). De mon inadéquation en tant qu’homme, ou de celle que j’observe chez les autres: l’occupation quotidienne que constitue l’inadéquation est mon sujet de prédilection. Musicalement, qu’avais-tu en tête quand tu as commencé à écrire l’album ? Il y a quelque chose d’un peu post-Kraftwerk, d’un peu austère. Il y a un peu de brillance, de joie, de l’amertume aussi. Mais je n’ai généralement pas d’envie très dessinée quand je commence à écrire. Le processus est plutôt chaotique. Je sors des choses qui m’intéressent sur le moment et j’espère que, six mois plus tard, elles continueront à m’intéresser. Si c’est le cas, la chanson s’est

qualifiée. J’ai passé deux ans sur cet album, ça a été assez long. J’écris une chanson, je la jette, puis je la reprends, la change, la préfère ainsi, mais finalement non, je reviens à la première version, qui finalement ne me convient pas… Ça peut être assez douloureux, mais j’ai tendance à croire que c’est nécessaire pour que ce soit bon. J’ai besoin d’un peu de drame ! Et ce titre, It’s aPleasure ? J’ai toujours du mal avec les titres d’album, je suis un peu fainéant. Donc je finis invariablement par choisir le titre d’une des chansons… J’ai trouvé que le titre, peut-être un peu ironique, collait bien à l’ensemble. Mieux que Grey Penguin, ou Ice Tree, ou Hand With No Leg, enfin mieux que toutes les autres conneries qui peuvent me passer par la tête (rires)… propos recueillis par ThomasBurgel album It’s a Pleasure (Pias), àparaître le 20 octobre concerts le 14/11 à Tourcoing, le 15 à Paris (Cigale), le 16 àNantes, le 18 à Toulouse, dans le cadre du festival lesinRocKs Philips baxter-dury.com

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Common Nobody’s Smiling

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Gregory Scaffidi

Def Jam/Universal

Un dixième album brillamment produit: retour en forme du rappeur de Chicago. ommon revisite avec émotion saville natale, dans laquelle il ne réside plus depuis la fin desannées90. Chicago souffre aujourd’hui d’un taux d’homicides particulièrement élevé (1,14meurtre par jour en2013) et comme l’annonce le titre, “nobody’s smiling”. L’album s’ouvre symboliquement sur un sample de TheOther Side of Town de Curtis Mayfield, sur lequel l’une des jeunes stars du ghetto, Lil Herb, vient raconter sa (sur)vie en terrain miné. Sur ces treize morceaux, Common partage volontiers le micro avecBig Sean, Vince Staples, Elijah Blake et le poète Malik Yusef. Le rappeur le plus impressionnant du disque est une rappeuse, Dreezy, une jeune louve des trottoirs de Chicago qui crache un flow enragé

sur l’imparable Hustle Harder. MaisCommon et ses convives profitent surtout de la forme olympique de NoI.D. à la production. Le mentor de Kanye West, également complice de Common depuis son premier album en 1992 (Can I Borrow aDollar?), recycle brillamment l’héritage du hip-hopgoldenage dans des instrumentaux modernes et originaux: distorsions de voix, effusions de basses, chœurs gospel sur Kingdom, samples ciselés de Notorious B.I.G et de Mantronix. Grâce au producteur, Nobody’s Smiling redonnera le sourire à tous les fans deCommon. Son meilleur disque depuis Finding Forever en 2007. David Commeillas thinkcommon.com

Zsuzsanna Bánat – Vagabond songs L’Autre Distribution Le folk tsigane d’une chanteuse hongroise: voyages en altitude. On la surnomme “la Lhasa Vàrkonyi a déjà fait mystiques, des guitares hongroise” pour cette le tour du monde grâce amplifiées lancinantes, et grâce naturelle qui habille à la musique et à un talent des expirations d’accordéon son chant et habite ses d’actrice, c’est surtout chargées d’émotions. La mélodies. Sur ce quatrième un voyage intérieur qu’elle chanteuse s’y abandonne, album, réalisé par Philippe propose ici. Son folk tzigane divague, transgresse, Teissier du Cros (Piers emmène chaque auditeur s’évanouit, ressuscite… Faccini, BojanZ, Rokia vers des contrées intimes Comédienne de formation, Traoré), la voix éthérée et vers de grands espaces elle ne surjoue jamais. révèle l’enchantement spirituels où l’on entend Ellevit, elle vibre, éphémère et la profonde surtout la résonance de et nous aussi. D.C. nostalgie de son existence l’âme. A l’horizon, le relief zsuzsanna-varkonyi.com nomade. Si Zsuzsanna est dessiné par des violons 3.09.2014 les inrockuptibles 91

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on refait le rap Le soulman Adrian Younge veut (ré)apprendre la composition aux producteurs de rap. Non sans une certaine morgue.

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35 ans, Adrian Younge considère qu’on n’a produit de la vraie soul-music qu’entre 1966 et 1973. Il ne jure que par les magnétophones analogiques et affirme que le rap d’après 1997 ne vaut pas un clou. Un radicalisme qui mérite des tartes, mais son complet vintage à carreaux bleu et ses souliers bien mis rappellent qu’il n’est pas forcément stérile: “J’ai débuté par le rap mais j’étais limité, pose-t-il. Avec le sample, tu ne peux pas moduler, sortir de ta boucle. J’ai tout repris à zéro: je suis revenu aux instruments, puis aux sources de mon rap, la soul.” Le voyage débute en 2009 avec la BO du Black Dynamite de Scott Sanders et l’album Something about April, sur lequel Younge revisite les poussières soul en un faux rétro aux accents modernes, avant de tirer les Delfonics de leur coma sur Adrian Younge Presents The Delfonics. Mais, ironie du sort, ce n’est pas la soul qui s’intéresse à Younge : en2012, c’est RZA qui lui commande un album

pour le rappeur Ghostface Killah (du Wu-Tang). “Je me suis remis au rap en procédant comme si je disais à Herbie Hanco*ck : ‘Je vais sampler ta chanson, mais je ne veux pas m’arrêter à la boucle, j’ai aussi besoin de telle progression pour le refrain’. Je composais en pensant à ce dont un producteur de rap a besoin.” Dont acte: depuis 2010, Timbaland, Alchemist ou Common piochent régulièrement chez lui. Sur There Is Only Now, qu’il vient de terminer pour le groupe culte Souls Of Mischiefs, ce sont encore ces breaks, ponts et codas évolutifs qui enrichissent les composantes traditionnelles du rap : “Ça sonne comme du rap à base de samples, mais tout est composé et joué. Les harmonies évoluent, ça ravive une musicalité qui n’existe plus.” Fâché avec le rap depuis que les beatmakers se sont mis à dupliquer des formules sans audace, l’esthète peine d’ailleurs à citer ceux qu’il apprécie : “J’adore Black Milk ou Madlib, même si c’est parfois juste du Idriss Muhammad ou du Grant Green samplé,

revisité. Les beatmakers ne savent même pas ce qu’est une progression harmonique. C’est bien de mettre quatre mesures en boucle, mais nous avons aussi besoin d’accords, de musique.” A travers son label Linear Labs, les disques qu’il diffuse via son concept-store Artform Studio (disquaire et coiffeur) et ceux qu’il compose pour les autres, c’est une petite OPA soul que fomente Younge. Et ce n’est que le début : la veille de notre rencontre, on le croisait en grande conversation avec Nas dans les coulisses du Zénith, tandis que Kendrick Lamar évoquait une prochaine collaboration avec lui. Thomas Blondeau album Souls Of Mischiefs There Is Only Now (Linear Labs/Differ-ant) linearlabsmusic.com

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Ty Segall Manipulator Un double album ensoleillé aux vapeurs psychédéliques jouissives. la mort de Jay Reatard il y a quatreans, TySegall avait un peu été intronisé roi du garage US par défaut. Le jeune Californien a depuis cherché à se détacher de cette étiquette un poil encombrante et réductrice, notamment en publiant des disques à un rythme effréné (plus d’un par an, à l’instar de son “mentor” John Dwyer, des Thee Oh Sees) et en allant bouffer à tous les râteliers rock, du garage-punk échevelé de Slaughterhouse au folk dépouillé de Sleeper, paru l’an dernier.

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Denee Petracek

Drag City/Modulor

C’est donc sans surprise que le double album Manipulator, enregistré dans des conditions inhabituelles (c’est-à-dire en passant près d’un mois sur la production –une aberration quand on connaît le garçon), se présente comme l’esprit de synthèse et le grand œuvre de Segall. Avec des morceaux qui commencent comme sur une compilation Nuggets puis se transforment en rock à la Alice Cooper (TheConnection Man), embrassant dans un même élan Beatles et Black Sabbath (donc Nirvana), Hawkind et Love, David Bowie et ThePretty Things,

l’album se paie même le luxe de convoquer les copistes 90’s comme Kula Shaker (Mister Main). Revival de revival de revival ? Manipulator, s’il n’échappe pas à l’écueil catalogue des précédents albums (depuis toujours le péché mignon de TySegall), a pour lui le mérite de la fraîcheur et de l’immédiateté, et fait montre d’une maîtrise et d’une efficacité par endroits ahurissantes (impossible de résister à la tornade Feel). On se surprend au final à se repasser en boucle un album qui aurait pu être parfaitement indigeste mais qui se révèle en fait absolument jouissif. Ce qui est tout de même une gageure. Marc-Aurèle Baly concerts le 19 octobre à La Rochelle, le 21 à Paris (Cigale), le 22 à Toulouse, le 28 à Clermont-Ferrand, le 29 à Genève ty-segall.com

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Paul & Martin

la découverte du lab Julia Jean-Baptiste La nouvelle recrue de la french pop inaugure une rentrée placée sous le signe du smiley. arisienne d’adoption, Julia grandit au sein d’une famille mélomane, adepte de bossa nova et de new-wave, avant de s’émanciper dans la nuit electro lyonnaise comme DJ. Sur son iPod: le glam-rock des années 70 (David Bowie), le cœur yéyé des chanteuses 60’s (Jacqueline Taïeb, Gillian Hills) et des jeunes gens modernes (Lio, Etienne Daho). Après avoir fait tanguer les dance-floors, elle abandonne le play-back et se retrouve sous les projecteurs de la Star Ac en 2009. Julia tient un mois dans le triangle des Bermudes du show-biz: paillette/co*ke/ego trip avant de reprendre le chemin des musiques indé. Promue chanteuse de Pendentif, elle renoue avec son expérience de la scène et écume les festivals. Repérée via notre concours de reprises des BO de Jacques Demy –qu’elle remporte haut la main avec sa version maltée du vénérable De Delphine à Lancien, Julia JeanBaptiste tape aussi dans l’œil du label Entreprise (Moodoïd, Juniore). Hyperactive, elle signe un single entêtant: Confetti. Faisant la nique à la crise, cet hymne jubilatoire envoie tout valser avec des synthés funky griffés Dombrance et les textes ingénus de Lafayette (lui aussi signé chez Entreprise). Single disponible en digital et ep à prévoir en physique pour l’hiver. Abigaïl Aïnouz

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https://soundcloud.com/juliajeanbaptiste

retirez gratuitement vos invitations pour la finale Sosh aime les inRocKs lab sur lesinrockslab.com

Erland & The Carnival Closing Time Full Time Hobby/Pias Le troisième album d’une trop discrète merveille d’Albion. près la parenthèse (magnifique) de The Magnetic North, le Carnival du fiévreux chanteur Gawain Erland Cooper et du multi-instrumentiste Simon Tong reprend ses quartiers désertés depuis le très beau Nightingale en 2011. Envisagée au départ comme un écho moderne à l’œuvre du folk-singer américain Jackson C. Frank, dont ils reprenaient l’emblématique My Name Is Carnival, cette association aux frontières élastiques s’est affirmée dans la discrétion comme l’une des plus passionnantes d’Angleterre. L’ex-The Verve Simon Tong, qui a joué les utilités sur presque tous les projets de Damon Albarn (Blur compris), a retenu de son patron les leçons d’éclectisme et d’éclatement qu’il met à profit pour réinventer d’album en album le songwriting folk et pop sans donner l’impression de faire bégayer l’histoire. La chanson-titre de Closing Time, qui en clin d’œil ouvre l’album, est une démonstration d’effervescence lyrique digne du meilleur Divine Comedy. L’altitude ainsi trouvée ne retombera jamais, atteignant même d’autres sommets (Quiet Love, Is It Long ‘til It’s Over?), le groupe larguant à bon escient l’héritage roots des débuts pour une sophistication tranquille qui est la marque des grands, à défaut d’être celle des champions du box-office. Christophe Conte

A Rustie Green Language Warp/LaBaleine

Un des producteurs british les plus radicaux usine un album fascinant. Tout tremble autour de vous, comme si un téléphone avait été abandonné en mode vibreur dans votre tête. C’est Rustie, l’un des producteurs les plus vicieux du Royaume-Uni. Menteur, aussi. Il promettait un album bucolique, les oiseaux et la nature: c’est une friche d’usines dévastées, survolée de drones menaçants que présente cet album, acharnement frénétique de beats métalliques et entassem*nt monstrueux de séquences et débris (electronica, ambient, post-rock…) qui redéfinissent une esthétique fascinante mais hostile de la musique industrielle.

erlandandthecarnival.com

BenjaminMontour warp.net/records/rustie 94 les inrockuptibles 3.09.2014

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Phox Phox Partisan Records/Pias Venu de Baraboo sans barbes à poux, Phox enchante le folk et prolonge l’été. es six membres du groupe Phox ne se sont pas rencontrés dans un magasin de photo du même nom mais chez eux dans le Wisconsin, et précisément à Baraboo, 11 963habitants. Un nom aussi délicieusem*nt absurde que, par exemple, Brigadoon. De ce village imaginaire d’Ecosse qui n’apparaît qu’une fois par siècle, filmé en 1954 dans une comédie musicale de Vincente Minnelli, Baraboo est la ville jumelle. Un mirage et une oasis, où la pop, par des étudiants en musicologie, et une le folk, la soul et la musique symphonique simple langueur caribéenne, voire sont tous les jours à la fête, réinventés loin subtropicale. Les chansons sont souvent du vacarme du monde, du côté du longues, progressives, un peu étranges, fantasme plus que de la réalité. Baraboo est au nord, pas loin du Canada, symphonies anamorphosées sur lesquelles s’enroulent les modulations mais l’air y est si chaud que les gens vocales de la sirène envapée Monica Martin. flottent à deux mètres du sol. De loin, ils Bien que venu de nulle part, Phox peuvent alors voir les rives des grands lacs, et même les palmiers quand le temps n’est pas un truc de ploucs. La production ambitieuse et le mélange des genres est clair (ou les drogues abondantes). Car rappellent l’album de Matthew E.White la musique de Phox plane entre une pop sorti l’an dernier (maisavec une vraie (au sens large) savamment confectionnée

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Pip for Partisan Records

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chanteuse). OuFeist, ou Fleetwood Mac, et parfois des “Phleet Phoxes” en chemises à fleurs. En tout cas, grâce à cette chanteuse chaude et nonchalante, aucune trace chez Phox du folk de barbu dépressif typique du haut Midwest. LeWisconsin est aussi la patrie de BonIver, mais Phox a choisi d’y prolonger l’été. StéphaneDeschamps concerts le 9 septembre à Paris (Le Pop-Up du Label), le28 novembre à Strasbourg phoxband.com

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various artists The Long Long Summer La Dame Noir Records

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Tom et Matt, les frères Berninger

Mistaken for Strangers de Tom Berninger mistakenforstrangersmovie.com

Embarqué par erreur sur une tournée du groupe The National, le petit frère duchanteur signe un documentaire poignant et hilarant. orsqu’il embarque sur la tournée le portrait intime d’un groupe embusqué HighViolet de The National, derrière une image propre et racée. Tom n’est qu’un simple roadie. Loin Désarmés par cette écriture filmique d’être le meilleur. Brouillon, distrait, farfelue, les membres de The National le jeune metalleux n’est pas un grand se laissent alors lentement saisir. fan de The National. Seulement voilà, Une mise à nu touchante, drôle aussi, Tom est le petit frère deMatt Berninger, rendue possible par la sensibilité le chanteur du groupe… Amesure que de Tom: “On attend souvent The National les dates s’enchaînent, Tomcommence à sur ses côtés très sérieux, parfois sombres. filmer: sorties de scènes, moments volés Mais ce sont surtout des esthétiques à bord du tour-bus, questions surréalistes scéniques, confie Tom. Avec ce film, j’ai pour interviews embarrassantes… voulu mettre enlumière toute la dimension Mistaken for Strangers, le premier comique dugroupe. Mon frère écrit rockumentaire consacré à TheNational des paroles qui peuvent être vraiment drôles. a été remis entre les mains, pas très Ce film, je l’ai fait pour lui, pour eux. adroites, d’un authentique loser, invasif, C’est l’histoire d’un trentenaire qui tente de qui picole en backstage. Trop près –quand raconter son frère. Ils’agit d’une expérience il gonfle le staff avec sa caméra et émotionnelle, unpeu comme une chanson ses questions–, trop loin, lorsqu’il se fait de The National finalement, avec des doutes, carrément virer de la tournée, Tom a du mal des montées, du rire. Des larmes aussi.” ThéophilePillault à jouer avec la distance. Et pourtant. De maladresses en pures conneries, il va mistakenforstrangersmovie.com dessiner à coups de rushes improbables

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La Dame Noir, dancing, “night-comptoir” et blog marseillais devient label et sort sa compile. Tim Paris, Dicky Trisco, Amevicious, Slow p*rn, Did Virgo Fred Berthet, Sonns… Réuni dans l’arrièrecuisine de La Dame Noir par ses deux tauliers Phred et Relatif Yann, un des fragments les plus viciés de la scène disco marseillaise se raconte désormais en treize titres. Cette ténébreuse sélection de DJ-producteurs insuffle ses esthétiques lunaires, poisseuses et deep, à l’image d’une direction artistique sans concession, qui rayonne depuis des années des hauts de Marseille, au nightcomptoir minimaliste La Dame Noir, au VieuxPort –rendez-vous à l’infernal Dancing. Car Marseille estune ville électronique, riche en soirées et gros events, saturées de DJ mais souvent ignorée, faute de hits ou deproductions décents pour la représenter. T.P. ladamenoir.fr

Eyeless In Gaza Original Albums Collection Cherry Red/Socadisc Au tout début des années 80, un groupe anglais inventait une musique unique. Réédition en 4CD. On est extrêmement jaloux, on ne lui connaît que là. Grâce à ce coffret (riche de vagues antécédents en inédits), des veinards (Kevin Ayers, Robert Wyatt, vont ainsi découvrir, Nico…), on ne l’entend les oreilles vierges, les que rarement chez des quatre albums d’Eyeless héritiers furtifs –on n’utilise In Gaza en 1981 et 1982. son nom, en référence, Et ce qu’il y a entre qu’avec parcimonie, ces deux oreilles risque tant cette musique est de considérablement irradiante, belle à pleurer s’étendre, se répandre de joie, mais aussi délicate, en méandres, en spirales précieuse, unique. ascensionnelles grâce Elle est donc une île, à la à cette pop qui a ouvert fois mystérieuse, luxuriante et fermé un chapitre: et pourtant radieuse,

ascétique. Et pourtant, ce n’est que de la pop, jouée avec des doigts de nuages, éclairée d’une lueur bienfaisante, loin des lampes à huile ostentatoires du psychédélisme réglementaire. Car sur ces quatre albums étalés sur deux ans de joyeuse

folie débridée, Eyeless In Gaza fut sans doute l’un des premiers groupes de l’after-punk à réhabiliter des mots anciens, comme “folk” ou “psychédélisme” dans l’argot du bruit et du chaos. JD Beauvallet eyelessingaza.com

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A Sunny Day In Glasgow Sea When Absent Lefse Records/Memphies Industries/Pias

Joel Gion Apple Bonkers Reverberation Appreciation Society/Modulor

Sans leur chanteur, les grognards de Brian Jonestown Massacre se révèlent. ’homme-tambourin (mais il secoue des maracas, aussi) a donc une âme, comme le démontre cet album comme un grand du percussionniste et improbable front de scène de Brian Jonestown Massacre. Ces dix chansons concoctées avec la quasi-entièreté du groupe, et quelques amis des Dandy Warhols ou des Islandais de Dead Skeletons, enthousiasmeront ceux qui fondent face à Nuggets ou tout autre compilation de rock psychédélique américain des 60’s regorgeant de musiciens de garage traumatisés par la première tournée des Beatles dans leur pays. Grâce à ce double salto arrière esthétique (des claviers comme autant de tapis volants, un chant réverbéré et fragile, des guitares en guirlandes multicolores

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comme surent en offrir les Byrds), Gion séduit, puis hypnotise, puis fait fondre de plaisir, dans une science de la simplicité et de l’immédiateté qui, loin des tripatouillages de studio, injecte une conséquente dose d’humanité dans la musique. Et impose un nouvel auteur et interprète. ChristianLarrède joelgion.com

Retour bruyant de brillants shoegazers américains. Sans rivaliser avec la beauté des nappes spectrales de Ashes Grammar et Scribble Mural Comic Journal, ce quatrième album de ASunny Day In Glasgow, financé par ses fans, contient une belle brochette de ballades en apesanteur (Crushin’), devoix qui charment les sens et de tourbillons deguitares. Et surtout, unsingle de choc: Never Nothing (It’s Alright (It’s Ok)), où ces doux rêveurs délaissent les circonvolutions bruitistes des dix autres compositions pour se faire plus angéliques et éthérés. Maxime Delcourt asunnydayinglasgow.com

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Steve Gullick

POUR TABLETTE https://www.youtube.com/ watch?v=xUpy521NTGM

James Yorkston The Cellardyke Recording and Wassailing Society Domino/Sony L’Ecossais invite des amis et livre la BO parfaite pour un matin paresseux. l est temps de suspendre l’écoulement du sablier et d’observer les nuages s’étirer, l’été s’éteindre doucement. Sur The Cellardyke Recording and Wassailing Society, son huitième album, James Yorkston égrène des chapelets de cordes du bout des doigts. Quelques touches de piano ou de violon viennent parfois habiller la guitare nue. Tantôt parlée, tantôt chantée, sa voix, aux reliefs façonnés par les vents, est celle d’un conteur dont on boit les paroles, parfois soulignée d’autres présences vocales. James Yorkston a enregistré pendant dix-huit mois des demos sur son téléphone, puis s’est donné une semaine pour enregistrer cet album sous la houlette d’Alexis Taylor (HotChip), en invitant quelques amis comme ThePictish Trail ou KTTunstall. Il en ressort un album uni qui célèbre l’amitié au coin du feu et invite à trinquer (wassail en vieil anglais) en hommage aux compagnons terrestres ou célestes comme sur Broken Wave (A Blues for Dooogie), en souvenir de son ancien bassiste. Amandine Jean

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jamesyorkston.co.uk

Flip Grater Pigalle Vicious Circle Sobres et graves, des folk-songs pour la nuit. Installée à Paris, la NéoZélandaise Flip Grater, qui tient son surnom du dauphin Flipper, publie un quatrième album qu’elle a peaufiné avec Maxime Delpierre (Limousine, Joakim…) à la production, Babx au piano et à la basse et Alice Lewis aux chœurs. Soit onze chansons de folk douillet, qui placent à nouveau cette musicienne méconnue en cousine de Cat Power (The Quit, Hymns, Justin Was a Junkie). C’est quand elle privilégie la sobriété, posant sa voix sur une guitare délicate, qu’elle séduit le plus, alignant des ballades mélancoliques et brutes, parfaites pour le soir. L’album s’achève ainsi sur un To the Devil envoûtant, duo partagé avec Nicolas Ker, voix de Poni Hoax. Johanna Seban flipgrater.com 3.09.2014 les inrockuptibles 99

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Fool’s Gold 24/9 Paris, Caféde la Danse Gesaffelstein 28/11 Paris, Zénith

Azealia Banks 22/9 Paris, Bataclan Beck 11/9 Paris, Zénith Beyoncé & Jay-Z 12 et 13/9 Paris, Stade de France Christine And The Queens 1/10 Paris, Cigale, 15/10ClermontFerrand, 22/10Bordeaux, 23/10 Toulouse Coconut Music Festival du 26 au 28/9 à Saintes, avecChristine AndThe Queens, Flavien Berger, Frànçois & The Atlas Mountains…

Golden Teachers + J.C. Satàn 17/9 Jouélès-Tours

sélection Inrocks/Fnac Phox à Paris Quelques jours après nous avoir présenté son premier album de folk envoûtant, le sextet du Wisconsin viendra défendre ses titres sur la scène du Pop Up du Label. Auprogramme mardi 9septembre: des mélodies ciselées, des voix sucrées et un peu de psyché. Isaac Delusion 7/10 Strasbourg Jazz à la Villette du 3 au 14/9, avec Nick Waterhouse, Maceo Parker, Cascadeur… Levitation France les 19 et 20/10 à Angers, avec The Soft Moon, Zombie Zombie, La Femme… Renan Luce 9/10 SaintBrieuc, 17/10 Vierzon, 20/10 Troyes London Grammar 14/10 Strasbourg

Heart of Glass, Heart of Gold du 19 au 21/9 à Ruoms, avec Red Axes, La Femme, The Soft Moon… HollySiz + Pegase 29/9 Amiens Festival d’Ile-de-France du 6/9 au 12/10, avec Poni Hoax, Cheveu, AcidArab, Léonie Pernet… In Paradisum XV 5/9 Paris, Glazart, avec Qoso, Jahiliyya Fields, Kemal…

Miossec 8/10 Rouen N.A.M.E Festival le 13/9 à Dunkerque, les 19 et 20/9 à Tourcoing, avec Laurent Garnier, Agoria, Brodinski… Natas Loves You 18/10 Roubaix Neon Trees 10/9 Paris, Flèche d’Or Angel Olsen 27/9 Mérignac Pitchfork Music Festival Paris du 30/10 au 1/11, avec The Notwist, Jamie xx, How To Dress Well…

Scopitone Festival du 15 au 21/9 à Nantes, avec Daniel Avery, Salut C’Est Cool… St. Lô 19/11 Paris, Flèche d’Or Sébastien Tellier 10/10 Rouen, 15/10 Toulouse, 16/10 Cenon, 17/10 Poitiers, 18/10 Villeurbanne, 20/10 Paris, Casino de Paris, 24/10 Rennes Ty Segall 21/10 Paris, Cigale Sohn 22/9 Paris, Caféde la Danse Violence Conjugale 15/9 Paris, Café de la Danse

Cold Specks 23/10 Paris, Flèche d’Or

Jessie Ware 26/10 Paris, Trabendo Pharrell Williams 6/10 Toulouse 7/10 Nantes du 13 au 16/10 Paris, Zénith

sélection Inrocks/Fnac Nick Waterhouse à Toulouse Le second album du Californien a confirmé tous nos soupçons: sous ses airs fifties, Nick Waterhouse est bien un de nos contemporains. Entre l’accent Motown, l’immédiateté et le patronage de Van Morrison, le concert en costume trois-pièces de ce jeudi est immanquable.

Lana Del Rey

Coming Soon + Woods 16/9 Paris, Café de la Danse Concrete Knives + Samba De La Muerte 24/9 Roubaix Détroit 9/10 Strasbourg

Festival Elektricity XII du 28/9 au 4/10 à Reims, avec Andrew Weatherall, Daniel Avery, Fakear, Golden Teacher… Festival lesinRocKs Philips du 11 au 18 novembre, avec Damon Albarn, The Jesus And Mary Chain, Lykke Li, Frànçois & The Atlas Mountains, Palma Violets, The Acid, Parquet Courts, Isaac Delusion… Festival FrenchPop du 2 au 4/10 à Bordeaux, avec Moodoïd, Julien Gasc, Cliché…

Sylvere Hieulle

The Drums 17/11 Paris, Trabendo

aftershow Rock en Seine du 22 au 24 août à Saint-Cloud Les visuels de Rock en Seine 2014 montraient des extraterrestres et des soucoupes volantes. Et c’est bien ça un festival installé dans le domaine national de Saint-Cloud: un ovni écrasé aux portes de Paris, projet énorme qui continue, depuis 2003, à secouer la capitale avec des programmations chaque fois plus ambitieuses. Avec ce mot d’ordre: soutenir le rock au sens large, entendu comme tout ce qui se nourrit des niches pour s’adresser au plus grand nombre. On y a ainsi croisé, en trois jours excitants et réussis, des têtes d’affiche comme Portishead, Arctic Monkeys ou Die Antwoord ; des artistes plus émergents tels ce zinzin de MacDeMarco, les punks crados de Fat White Family ou la troupe splendide de Frànçois & The Atlas Mountains ; des découvertes solides, notamment Feu! Chatterton et Camp Claude ; et puis des événements, dont un en particulier: le concert magnifique de Lana Del Rey. Cette dernière a joué ses tubes avec une grâce infinie, offrant à un public dense et bouillant le rêve qu’il venait chercher. Dimanche 24, on a fini le festival avec Cut Copy jouant Feel the Love: oui, beaucoup d’amour à Rock en Seine cette année. Maxime de Abreu 3.09.2014 les inrockuptibles 101

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l’exorcisme Seize ans après avoir été exclu de son groupe d’amis, un jeune homme tente d’en comprendre les raisons. Haruki Murakami signe une belle enquête existentielle, portée par une inquiétante étrangeté.

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i Haruki Murakami délaisse la science-fiction de son dernier roman, 1Q84 (un million d’exemplaires vendus dans lemonde), ilreste fidèle à ce qui fait son style: un sentiment d’inquiétante étrangeté. Dans L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, Tsukuru vit seul à Tokyo où il a réalisé son rêve: construire des gares. Tout irait bien s’il ne vivait pas depuis seize ans comme un “mort vivant”, quand il a été rejeté, à 20ans, par son groupe d’amis, le condamnant ainsi à une forme d’anéantissem*nt. Ils étaient cinqamis à l’université, chacun désigné par une couleur –deux garçons, Bleu et Rouge, et deux filles, Noire et Blanche–, sauf Tsukuru, seulement appelé par son nom, qui signifie “celui qui fait les choses”. Mais peut-on exister si l’on n’a aucune couleur ? Si l’on est aussi transparent qu’un fantôme, condamné à n’être “rien”, un être dont on peut se priver sans raisons ? Au fond, Murakami offre ici une nouvelle variante romanesque aux thèmes qui le hantent: qu’est-ce qui nous lie aux événements du passé, qui se répercutent sur nous en ondes de choc et nous ébranlent profondément ? Que reste-t-il des lieux et des êtres que nous avons fréquentés, et dont les particules, flottant en souvenirs dans notre mémoire, vont nous pénétrer, nous façonner ? C’est d’abord le corps entier de Tsukuru qui changera en maigrissant, comme s’il avait entamé un processus de disparition. Enfin, c’est toute la perception qu’il a de lui qui en sera atteinte: “Il est sûr qu’il y a chez moi, fondamentalement, quelque chose qui désappointe les autres.

le plus beau dans ce roman et dans le geste de l’écrivain: cette capacité à engendrer des niveaux de réalités simultanées

‘Tsukuru Tazaki manque de couleur’, répétait-il à haute voix. Au fond, je ne possède rien à offrir aux autres. Ou pire encore: je n’ai rien à m’offrir à moi-même.” Si Haruki Murakami ne s’impose pas en grand styliste, il sait en revanche construire une enquête intérieure poétique et haletante, et poser les questions essentielles. Que devient-on au contact des autres ? Si des rencontres peuvent nous faire métaphoriquement mourir, d’autres peuvent-elles nous ramener à la vie ? Sara, une jeune femme dont il tombe amoureux, va exiger, comme condition à leur histoire naissante, qu’il exorcise ce passé en retrouvant ses anciens camarades, et en s’y confrontant. C’est ainsi que commence le“pèlerinage” du titre, dont on ne révèlera pas l’issue inattendue, mais qui le mène à retrouver ses amis devenus adultes: tous ont abdiqué face au réel le plus capitaliste. Sauf Noire, qui a quitté le Japon pour la Finlande. Murakami avance dans la psyché de son personnage à coups de rêves, de scènes étranges frôlant l’hallucination ou la projection astrale, de révélations –un jour, Tsukuru aperçoit Sara dans une rue de Tokyo, avec un autre homme–, dessinant ainsi les contours d’une réalité parallèle. C’est ce qu’il y a de plus beau dans ce roman et dans le geste de l’écrivain: cette capacité à engendrer des niveaux de réalités simultanées, que seul notre esprit peut entremêler afin de faire apparaître la“vérité”. Ainsi, l’instinct percevrait peut-être davantage que la logique, ces choses invisibles à l’œuvre chez les êtres, ce mystère qui nous meut et nous aveugle en même temps, et ne se dévoile à nous que si l’on prend le temps d’effectuer un curieux pèlerinage autour de soi, et en soi. Et seule la poésie, contaminant le roman, serait à même de saisir lescontours flous de ces mondes inconnus. Murakami parsème notre chemin d’indices en forme de petites digressions, autant d’outils pour nous amener à déchiffrer, par nous-mêmes, les motifs dans le tapis. Comme lorsque Rouge, un de ses amis retrouvés, rapportera à Tsukuru la façon

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Ivan Gimenez

dont il s’adresse à ses disciples dans ses séminaires: “Je sors de mon sac d’énormes tenailles et je les montre à tout le monde. En prenant tout mon temps, bien lentement. Puis je dis: ‘Et maintenant, la bonne nouvelle. La bonne nouvelle, c’est que je t’offre laliberté de choix. Préfères-tu que je t’arrache les ongles des pieds ou ceux des mains ?” Et de conclure, toujours à l’adresse de Tsukuru: “Chacun de nous a sa propre liberté.” Il faudra longtemps à Tsukuru Tazaki pour comprendre que s’il n’a pas

de couleur, il a une qualité: il est celui qui fait, quand les autres semblent subir leur teinte. Il ne lui restera plus qu’à choisir que faire de sa vie: aimer, ou mourir. Et l’on craint, au vu de l’aura noire que diffuse cet étrange roman, que cela soit équivalent. Nelly Kaprièlian L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage (Belfond), traduit du japonais par Hélène Morita, 384pages, 23€ 3.09.2014 les inrockuptibles 103

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Hélène Risser Les Amants spéculatifs JC Lattès, 320 pages, 18,50€

Portrait d’une tradeuse sans scrupules dans une satire audacieuse. Cela aurait dû être un récit vendeur visant à incarner la crise financière, le monde des banques d’affaires dénuées de scrupules. Le résultat est un patchwork de notes, de mails et d’extraits de journaux autour de la figure charismatique d’AnnaB., banquière ambitieuse et carriériste. Produit de la culture bobo, la pigiste chargée d’écrire sa biographie voit peu à peu son projet lui échapper. Après le départ de son mari, la tradeuse se fixe unobjectif: appliquer aux sentiments les lois de la spéculation financière et faire de la séduction une science exacte. Dans ce roman-collage, Hélène Risser, journaliste et animatrice d’une émission sur Public Sénat, orchestre une ingénieuse confrontation entre deux archétypes féminins pris dans la tourmente de la finance moderne. Les Amants spéculatifs en offre une lecture relativement inédite, dans cette comédie corrosive qui désamorce tous les clichés du genre à l’instar d’un Bret Easton Ellis. Amoureuse des chiffres et des statistiques, abonnée aux voyages en classe business, l’héroïne détaille les déboires de sa vie conjugale avec la même avidité spéculative qu’un trader accro à la Bourse. La stratégie financière érigée en fausse utopie de l’amour. E.B.

working class hero David Peace signe un roman aussi émouvant qu’épuisant autour d’une légende du foot britannique.

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n roman se déroulant à Liverpool durant les années60 et ignorant l’existence des Beatles ? Une dénonciation des politiques économiques menées en Grande-Bretagne durant les années70 ne comportant pas la moindre allusion au punk ? C’est (presque) possible: dans le nouveau livre de David Peace, il faut attendre la page658 pour que les Sex Pistols apparaissent par le biais d’un titre de chapitre –Holidays in the Sun–, et douze pages de plus avant que les Fab Four ne soient mentionnés au détour d’une interview. Le rock n’est pas le seul absent de cette énorme fresque. Se préoccupant aussi peu du cinéma prolétarien de KenLoach que de la production littéraire des angry young men, Rouge ou mort a pour unique sujet le football. Et pour seul héros Bill Shankly, manager monomaniaque du Liverpool Football Club. Si Shankly préconise de “faire courir l’adversaire au maximum”, Peace fait cavaler son lecteur jusqu’au malaise. Expérimentale, excessive, extrémiste et exténuante, sa prose fait de la répétition une arme d’étourdissem*nt massif –ses phrases courtes ignorent les adjectifs, ressassent chapitre après chapitre les mêmes gestes, réitèrent les mêmes obsessions, rabâchent les mêmes rituels. Et finissent pourtant par emporter l’adhésion.

Après avoir consacré une demi-douzaine de romans à des tueurs en série anglais ou japonais, Peace s’attache à une figure positive. Altruiste, viscéralement socialiste et dévoué à sa cause jusqu’au mysticisme, le fils de mineur Bill Shankly est un authentique working class hero. Mais également un héros tragique, dont la carrière footballistique exceptionnelle a pour rançon une vie personnelle fantomatique. Uniquement préoccupé de transferts de joueurs, de stratégies de matchs et de coupes gagnées ou perdues, Shankly vit dans un rêve. Quand sonne l’heure du réveil, au milieu des années70, l’Angleterre est méconnaissable. Les conservateurs sont au pouvoir, l’argent gangrène le sport, un vieil homme nostalgique a pour seuls partenaires de jeu les gosses de son quartier. Reste une légende, et le regret lancinant de ne pas pouvoir “tout recommencer depuis le début”. Bruno Juffin Rouge ou mort (Rivages), traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias, 800pages, 24€

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Un écrivain enquête sur un fait divers à la campagne. Serge Joncour déploie une intrigue amoureuse et littéraire sur fond de drame social. omme dans toute modeste agglomération, on trouve la salle des fêtes, l’hôtel de la gare et un marché. C’est là que le narrateur du roman, écrivain mélancolique marqué par une séparation, accepte de séjourner dans le cadre d’une résidence littéraire. Très vite, brisant la monotonie des rencontres en librairie et des buffets sous le patronage pontifiant du maire, il se passionne pour un fait divers

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David Ignaszewski/Koboy/Gallimard

pastorale française survenu dans la région: la disparition d’un agriculteur et l’inculpation d’un jeune marginal, Aurélik, soupçonné de l’avoir tué. Fasciné par la compagne de ce dernier, Dora, jeune femme “sublimée par le tragique”, il s’embarque sur la trace de cette figure belle et fuyante. Serge Joncour raconte une quête, celle d’un écrivain happé par la puissance d’un crime supposé comme source d’inspiration romanesque. De quoi les romanciers se

nourrissent-ils ? Comment et à partir de quelle expérience écrivent-ils leurs livres ? Ont-ils besoin d’éprouver des “sensations fortes” ? Autant de questions qui s’imbriquent aisément dans le dispositif du livre, pensé comme un portrait d’écrivain dont sont restitués les ruminations existentielles comme les aspects les plus prosaïques de sa vie. Poursuivant son portrait de la France rurale (L’Amour sans le faire), Joncour dépeint un monde

en crise, où règnent l’exclusion et les intérêts politiques, mué en terrain de conflits autour d’une ouverture d’usine impliquant une vaste déforestation. Loin de tout cynisme, les discours acrimonieux engendrés par la misère et reproduits par l’auteur –du racisme social à la haine des étrangers et des “néoruraux”– côtoient des ambiances surannées et des décors à la “vétusté douillette”, rappelant les meilleurs films chabroliens. Dans ce tableau de mœurs goguenard et inquiétant, l’enquête littéraire et fatalement amoureuse n’en est que plus attachante. EmilyBarnett L’Ecrivain national (Flammarion), 400pages, 21€

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million dollar baby Déjà comparé à Jonathan Franzen, Matthew Thomas a signé un contrat d’un million de dollars pour son premier roman, un pavé autour d’une famille. Autant d’arguments de vente en forme de poncifs. a nouvelle coqueluche des lettres américaines se nomme Matthew Thomas. Il signe un premier roman, We Are Not Ourselves, qui sort en ce moment aux Etats-Unis chez Simon &Shusters, et a déjà bénéficié d’un portrait dans le Guardian grâce à un argument choc: son contrat d’un million de dollars. Déjà, on avoue une certaine surprise quant aux moyens qu’une maison d’édition, en pleine crise du livre, met en œuvre afin d’acquérir un premier roman –mais après tout, peut-être qu’au pays où les agents sont aussi starifiés que leurs auteurs, tout est-il encore possible. Car on imagine mal un jeune écrivain français recevoir, pour son premier opus, la même somme et pouvant ainsi bénéficier d’une telle publicité pour se vendre à l’international. Mais, au royaume du marketing, le “contrat à un million de dollars” est un argument phare: si un éditeur a cru bon de débourser une telle somme, c’est qu’il s’agit, forcément, d’un “chef-d’œuvre”, au potentiel vendeur de surcroît. On ne pourra pas y répondre ici, n’ayant pas lu le roman en question –on ne lui fera dès lors pas de procès d’intention quant à sa qualité. C’est le “packaging” qui commence à franchement lasser. Matthew Thomas est un homme, blanc, américain, âgé de 38ans, qui signe, forcément, un pavé de 640pages et, forcément encore, sur l’histoire d’une famille –de quoi lui valoir l’appellation contrôlée de “nouveau Jonathan Franzen”. Bref, de quoi s’imposer en blockbuster aux Etats-Unis et dans le monde entier. Ajoutons à cela qu’il a mis dixans à écrire son livre, passant ses nuits (le jour, il était enseignant) courbé sur la table de sa petite cuisine, à écrire dans le minuscule deux pièces du Queens qu’il partageait avec sa femme et leurs jumeaux. Un conte qui se change immédiatement en argument de vente massue, les foules aimant les histoires de réussite à la Cendrillon. Enfin, il a écrit l’histoire d’une famille, et il semblerait que dans un temps rompu au repli

Beowulf Sheenan

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sur soi, sa famille, voire sa communauté, le “family appeal” soit plus que jamais efficace. Pour le Guardian, Matthew Thomas a écrit l’“épopée” d’une famille, et pour le Los Angeles Times, une “épopée des petit* événements”, bref, une épopée du quotidien. Bah, oui, pourquoi laisser l’épopée aux héros, aux êtres extraordinaires, aux grands gestes et aux événements grandioses ? Pourquoi l’homme normal, au sein de sa famille, avec sa vie quotidienne lambda, ne serait pas lui aussi un “héros”, après tout ? Cette tendance en dit hélas long sur notre ère postutopique, où le romanesque et la flamboyance, l’aspiration à changer le cours de l’histoire, semblent avoir déserté aussi bien les romans que leurs personnages, et pire encore, la société entière. Matthew Thomas est un homme normal qui écrit sur des gens normaux et s’imposera dans le monde entier grâce à un packaging des plus conformiste. Reste à se poser, au final, une seule question: et si on commençait à en avoir marre de la normalité ? Nelly Kaprièlian We Are Not Ourselves (Simon & Shusters), 640pages, 28$

la 4e dimension la France de Florence Aubenas Quatre ans après Le Quai de Ouistreham, la journaliste du Monde publie En France (L’Olivier), qui rassemble ses reportages sur les plages du Sud-Est, les banlieues ou les villes du Nord. On y croise des chômeurs, des parents d’élèves, des électeurs du FN. En librairie le 16 octobre.

Marcela Iacub, la nouvelle Amanda Lear Juriste, chroniqueuse à Libé et auteur de Belle et Bête, Marcela Iacub ne recule jamais devant une expérience extrême: elle participe désormais aux Grosses Têtes, l’émission d’humour gras sur RTL présentée par Laurent Ruquier.

Sade superstar Une foule de livres et d’événements pour commémorer le bicentenaire de la mort du Divin Marquis, notamment une nouvelle édition à tirage limité de son œuvre en Pléiade (le 25septembre) et une exposition au musée d’Orsay, Sade. Attaquer la lumière, du 14octobre au 25 janvier 2015.

50 Shades nuit gravement à la santé D’après une étude de la Michigan State University, Cinquante nuances de Grey, le nanar p*rno-soft d’E.L. James, favoriserait chez ses lectrices les troubles du comportement alimentaire, l’alcoolisme et même les risques de tomber sur un partenaire violent. “Holy crap !”, s’écrierait son héroïne nunuche.

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Maarten VandeWiele Monsieur Bermutier Casterman, traduit du flamand par Daniel Cunin, 96pages, 18€

Texas Cowboys2

enfin 2 retours Les suites de Texas Cowboys (Bonhomme, Trondheim) et du Perroquet des Batignolles (Tardi, Boujut, Stanislas) étaient très attendues. Notre patience est récompensée.

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l aura fallu patienter respectivement deux et troisans pour découvrir la suite du Perroquet des Batignolles, de Jacques Tardi, Michel Boujut et Stanislas, et celle de Texas Cowboys de Matthieu Bonhomme etLewis Trondheim, mais l’attente valait la peine. Dans la suite de leur excellent western postmoderne, Lewis Trondheim et Matthieu Bonhomme renvoient au Texas le journaliste Harvey Drinkwater, devenu célèbre à Boston avec ses chroniques de l’Ouest sauvage. Deretour à Fort Worth, il va devoir tirer son ami Ivy Forest d’une mauvaise passe. Le duo croisera des personnages pittoresques et toujours en léger décalage avec les figures du genre (l’ancien soldat, la femme forte, lefier à bras…). A l’image de la solide amitié Drinkwater/Forest, l’alliance Trondheim/Bonhomme fonctionne à merveille. Le beau trait réaliste du dessinateur, ses multiples références et clins d’œil graphiques, s’accordent avec les dialogues percutants et l’humour pincesans-rire de Trondheim. Les intrigues, servies par des cadrages dynamiques, rebondissent de l’une à l’autre àbride abattue. Un épisode endiablé, qui ne devrait pas rester sans suite si l’on en croit la dernière ligne del’album.

Dans La Ronde des canards, suitedu trépidant L’Enigmatique MonsieurSchmutz, Stanislas reprend quant à lui les choses où il les avait laissées. Son héros au physique de Tintin, Oscar Moulinet, est toujours à la recherche de boîtes à musique permettant de découvrir le secret post mortem d’un faussaire, Emil Schmutz. Sursa route, l’ancien assistant de Schmutz sème le meurtre et le mystère s’épaissit. Les rebondissem*nts s’enchaînent, de nouveaux personnages hauts en couleur font leur apparition (une trapéziste, unintrigant commissaire de police) ou prennent une importance bienvenue (le beau-père gaucho et ronchon d’Oscar). Le trait clair et joyeux de Stanislas doit parfois se faire discret derrière le texte bavard –comme un perroquet–, mais la pétulance des dialogues, leur humour malicieux et les références futées sont trop savoureux pour se formaliser. Unepétillante tragicomédie. Anne-Claire Norot Le Perroquet des Batignolles2 –Laronde des canards de Stanislas, Jacques Tardi, Michel Boujut (Dargaud), 48pages, 13,99€ et aussi expo Stanislas, du 4 au 27/9 à la galerie Champaka (Paris IIIe), galeriechampaka.com Texas Cowboys 2 de Matthieu Bonhomme, Lewis Trondheim (Dupuis) 152pages, 20,50€

Une adaptation de Maupassant plus noire qu’il n’y paraît. La réserve sans fond constituée par les nouvelles de Guy de Maupassant est une source d’inspiration fabuleuse pour tout auteur en quête d’idées. L’illustrateur flamand Maarten Vande Wiele est ainsi allé puiser dans le trésor et y a trouvé la matière pour imaginer son deuxième album, Monsieur Bermutier. Maarten Vande Wiele ne se contente pas d’adapter littéralement Maupassant mais brode, crée des variations autour de quelques récits de l’écrivain. Il imagine notamment un lien entre les différentes histoires, représenté par ce monsieur Bermutier –juge d’instruction qui apparaît chez Maupassant dans la nouvelle LaMain. Bermutier devient ici narrateur et même parfois protagoniste, promenant sa mystérieuse personne dans la bonne société, observant et racontant ses souvenirs, dans lesquels les hommes et les femmes sont égoïstes, mauvais, angoissés, attirés par le mal. Maarten Vande Wiele a transposé l’univers deMaupassant dans les années30, ce qui sied bien à son dessin fin et aquarellé. Mais cette apparente légèreté est trompeuse et n’enlève rien à l’esprit, à la noirceur et à l’amertume des récits. A.-C.N.

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spectacles de Ruhr De Romeo Castellucci à Anne Teresa De Keersmaeker, laRuhrtriennale, sise dans la grande région industrielle allemande, met la musique en scène.

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omeo Castellucci a beau être en retard sur le centenaire du Sacre du printemps, on peut dire qu’il n’a pas raté le chef-d’œuvre de Stravinski, dont il a offert en ouverture de la Ruhrtriennale, à Bochum en Allemagne, une vision futuriste. Répondant à l’invitation du chef d’orchestre Teodor Currentzis, l’Italien débarrasse le plateau des danseurs. En lieu et place d’un corps de ballet, on retrouve une ingénierie de machines et de logiciels. Mais si les humains sont absents –mis à part les “techniciens de surface” qui viennent nettoyer le plateau au finale–, le mouvement, lui, est bel et bien visible. Des cendres d’os, provenant d’animaux d’abattoirs, sont

ainsi propulsées dans un cadre de scène suivant la rythmique du Sacre. Sachant que ces cendres sont produites pour l’industrie de fertilisation des sols, on comprend mieux le rapport au sacrifice de Romeo Castellucci. Qui affirme viser une “danse moléculaire où les danseurs auraient été atomisés dans l’espace”. Ce ballet mécanique du XXIesiècle à la beauté froide risque d’en glacer plus d’un. Mais pas de quoi faire se retourner dans sa tombe Igor Stravinski. Anne Teresa De Keersmaeker avait, elle, choisi de se confronter pour la seconde fois à un autre morceau de choix, La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg (Verklärte Nacht). La Belge

y revient par un duo, cette fois seulement troublé par un troisième homme à la présence furtive. Dans le cadre monumental du Jahrhunderthalle de Bochum, Samantha Van Wissen et Nordine Benchorf rejouent cette histoire tragique et passionnée. De Keersmaeker ose les petit* sauts dans les bras de l’autre, les diagonales éperdues, les entrées/ sorties répétées. Et livre une mise en scène d’une passion dévorante, superbe de maîtrise. On rêve de voir cette variation avec un orchestre live. Quant au DA de la Ruhrtriennale, Heiner Goebbels, il montait De Materie du compositeur hollandais Louis Andriessen,

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l’art de la langue Mes projets de mises en scène, notes d’intention de Jean-Luc Lagarce réunies en un volume, démontrent toute l’attention qu’il portait à la dramaturgie. l y a plusieurs façons d’accéder au théâtre de Jean-Luc Lagarce. Certains ont eu la chance de voir ses spectacles de son vivant, dans les années80 et 90, mais ses pièces font l’objet de nombreuses mises en scène. Ce qui sera par exemple bientôt le cas avec Derniers remords avant l’oubli, intégré dans le triptyque conçu par Julie Deliquet, Des années70 à nos jours... On peut encore lire son œuvre théâtrale ou son Journal. Désormais, on peut également se régaler à la lecture d’inédites notes d’intention (Mes projets de mise en scène, les Solitaires intempestifs) introduites par une interview de Lagarce avec le metteur en scène Jean-Michel Potiron en 1994. Souvent écrites des années avant la mise en scène effective des pièces, voire jamais montées, elles frappent, comme toujours avec lui, par la qualité de son écriture, cette façon caractéristique de corréler au plus juste rêverie, pensée, émotion et précision des mots à une intuition dramaturgique débarrassée de ce qui ne peut venir qu’ensuite: le décor, les acteurs. Il en convenait lui-même: “Les beaux costumes, la machinerie, le jouet, l’automate, le music-hall, la chansonnette, tout cela est bien joli. Mais tout cela doit être mis au service d’un vrai propos. Il faut de vraies raisons dramaturgiques.” Cette dramaturgie qui fut au cœur de la création théâtrale de la génération précédant la sienne (Planchon, Sobel, Chéreau) s’efface, depuis Lavaudant, au profit de l’image. Pour lui, elle est à la base de tout: “Je dis souvent: ‘On monte une pièce comme on réalise une enquête policière.’ L’auteur, en écrivant sa pièce, a-t-il ou pas commis le crime parfait ? Quels sont les traces et les indices qu’il a laissés à son insu après avoir commis son méfait ?” Indices qui prennent la forme du langage: “Metteur en scène, je suis au service de ce que je veux raconter (…). Le sujet le plus important, c’est la langue. Ce sont les mots. Le sujet: c’est d’en parler.” A cet égard, ses notes d’intention sont aussi belles à lire qu’éclairantes sur le metteur en scène que fut Jean-Luc Lagarce. Fabienne Arvers

Verklärte Nacht d’Anne Teresa De Keersmaeker

aux influences musicales variées. Un peu trop peut-être. Entre hommage à Marie Curie ou Mondrian le temps d’un tableau vivant, De Materie déconcerte. Ajoutez-y un troupeau de moutons et des zeppelins miniatures, vous avez alors une idée de cette aventure vertigineuse. L’Ensemble Modern Orchestra, sous la baguette de Klaas Stok, s’en sort une fois de plus avec une maestria déconcertante. Boris Charmatz, La Ribot ou Saburo Teshigawara sont attendus dans les jours à venir dans la Ruhr. Comme un été artistique qui n’en finit pas. Philippe Noisette Ruhrtriennale jusqu’au 28septembre à Bochum (Allemagne), ruhrtriennale.de Verklärte Nacht chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker, du 5 au 11septembre au Kaaitheater, Bruxelles Le Sacre du printemps mise en scène Romeo Castellucci, du 10 au 14décembre, Grande Halle de la Villette, Paris XIXe , dans le cadre du Festival d’automne à Paris

Ann Van Aerschot

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Mes projets de mises en scène de Jean-Luc Lagarce (Les Solitaires intempestifs), 96p., 13€ Des années 70 à nos jours… mise en scène JulieDeliquet et le collectif In Vitro, du 18 au 28septembre au Théâtre des Abbesses, ParisXVIIIe, theatredelaville-paris.com, et du 2 au 12 octobre au Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis, theatregerardphilipe.com, dans le cadre du Festival d’automne à Paris 3.09.2014 les inrockuptibles 111

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Gillick table sur le ping-pong Au Magasin de Grenoble, l’Anglais Liam Gillick revisite ses œuvres desannées90 avec la collaboration des étudiants.

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e nous le cachons pas : voilà une exposition difficile. “Hardcore”, même, selon le mot de l’artiste Isabelle Cornaro croisée par hasard ce jour-là. Mais c’est justement le rôle des centres d’art de mettre en scène la complexité de certains travaux d’artistes, d’offrir aux plasticiens de véritables laboratoires et de les accompagner dans leurs expérimentations. Indéniablement, le Magasin de Grenoble fait partie de ces lieux précieux pour le champ de l’art.

Il a notamment été un véritable compagnon de route et de jeux des artistes des années 1990, et par exemple de l’Anglais Liam Gillick, figure majeure de cette décennie artistique qui a passé son temps à décortiquer le format de l’exposition. Chez Gillick, l’exposition est un récit, un scénario que l’artiste déploie aussi bien dans l’espace que dans des romans écrits en parallèle de son travail et qui lui servent de source d’inspiration. Pour preuve, on peut voir actuellement dans les collections

permanentes du Centre Pompidou une grande installation adaptée d’un de ses romans, L’Ile de la discussion : des fresques murales orangées, un faux plafond multicolore sous lequel on peut tenir une conversation matérialisent le vingt-deuxièmeétage du grand centre de conférences qui apparaît dans le livre. AGrenoble, et comme dans toute son œuvre, de grandes tables en bois rejouent celle où discutent les personnages anachroniques de son roman Erasme est en retard, dont l’action se situe entre 1810 et 1997.

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Courtesy de l’artiste, photo Blaise Adilon

De 199C de 199D, vue de l’exposition

Liam Gillick, courtesy Galerie Air de Paris

Liam Gillick fait donc son retour au Magasin de Grenoble cet été. Un lieu où il a maintes fois exposé, notamment en1998 avec Philippe Parreno pour une exposition tout aussi conceptuelle, consacrée au procès de Pol Pot. Sous le titre De 199C à 199D, l’artiste se propose de revisiter nombre de ses œuvres des années90, non pas sous la forme d’une rétrospective, mais selon un mode complexe de réactivation, avec la pleine et active collaboration des étudiants-curateurs de l’école du Magasin.

L’idée est de faire apparaître dans le travail de Liam Gillick non pas des œuvres, ces choses terminées qui finissent leur vie au musée, mais des procédures d’exposition, rejouables à l’infini. Il y a les Tables prototypes d’Erasme, il y a la salle d’informations, avec son panneau syndical en bois où s’agrafent des documents relatifs à l’exposition (mails, budgets) mélangés à d’autres informations plus ou moins secondaires, il y a ce studio de tournage construit à partir de simples cartons, il y a cette salle de bureautique intitulée The What if? Scénario, avec un ordinateur qui était connecté, bien avant Julian Assange et WikiLeaks, à des sites délivrant de manière anonyme des informations confidentielles. Autrefois relative à la première guerre du Golfe, la pièce réactivée se consacre aujourd’hui aux événements du 11 Septembre. Conséquence: même pour ceux qui connaissent déjà bien l’œuvre de Liam Gillick, ici tout bouge et se déplace. Ce qui avait un statut d’œuvre marquante des années90 fait ici l’objet d’une relecture, mais aussi

On ne le connaissait pas producteur d’images, pourtant c’est bien Liam Gillick qui signe le visuel de notre compilation. Ce snapshot réalisé dans le lobby de l’hôtel Okura de Tokyo fait partie d’une série d’images prises en 2013 un peu partout dans le monde.

d’une réactualisation, mais encore d’un changement de statut, le tout doublé d’une délégation aux étudiants du Magasin. Ainsi se profile non seulement le portrait de l’artiste en curateur, en inventeur de processus d’exposition, mais aussi l’idée d’une œuvre en rotation permanente, qui refuse à se figer. On en donnera la preuve avec une autre pièce de l’artiste, installée dans l’extraordinaire parc de sculptures et d’architecture que constitue le domaine viticole du Château La Coste, près d’Aix-enProvence, ouvert depuis un an seulement aux visiteurs. C’est un pavillon constitué de grilles multicolores que les visiteurs peuvent faire coulisser, de manière à composer leur propre espace chromatique (Multiplied Resistance Screeened, 2010). C’est une cage, mais aux murs mobiles et changeants, jamais fermée, offerte à la variation, d’où l’on s’évade sans cesse: toute œuvre se doit d’être ouverte. Jean-Max Colard De 199C à 199D jusqu’au 7septembre au Magasin, Grenoble, www.magasin-cnac.org à voir aussi au Domaine Château La Coste, LePuy-Sainte-Réparade, www.chateau-la-coste.com à lire Les romans Erasme est en retard et L’Ile de la discussion sont publiés aux Presses du réel Une histoire réaccrochage des collections contemporaines, jusqu’au 7mars2014 au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr 3.09.2014 les inrockuptibles 113

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girl meets boy La réalisatrice Tessa Louise-Salomé consacre un élégant documentaire au plus secret des cinéastes français, Leos Carax. Diffusé sur Arte, il sera accompagné de trois longsmétrages du cinéaste.

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n large panoramique dans le hall obscur de la Samaritaine désaffectée en pleine nuit. Une silhouette à manteau long déambule dans le grand magasin éviscéré, tel Belphégor venu du Louvre en voisin. Elle s’engage dans les escaliers, traîne son ombre chinoise devant des surfaces vitrées. A travers elles, le Pont-Neuf, embrasé par les lumières de la ville, semble lui dire “Souviens-toi !”. Des images d’archives, montées en rafales, télescopent soudain cette balade nocturne. Des images de cinéma, des images de télévision aussi, l’équipe d’Holy Motors applaudie à tout rompre au Festival de Cannes, et puis des mots qui s’impriment à vive allure sur fond noir: “Enigme”, “mythique”, “lyrisme”, “légende”, “secret”, “surdoué”, “mystère”… Autant de qualifications apposées pour décrire un seul homme, celui autour duquel trace de belles volutes concentriques le bel essai documentaire de Tessa Louise-Salomé,

MrX–Le cinéma de Leos Carax. C’est un fait connu, Leos Carax a choisi d’être rare, fuyant, invisible. Il a dû accorder moins de dixentretiens à la presse écrite depuis trenteans, encore moins à la télévision. Il n’a manifestement pas accepté non plus de prendre la parole dans le film de Tessa Louise-Salomé (à moins, ce serait un choix fort, qu’elle n’ait pas songé à le lui proposer). Cette élégante scène d’introduction, où le cinéaste revisite en tapinois quelques lieux hantés par ses films (la Samaritaine d’Holy Motors, le Pont-Neuf des Amants…), sera la seule intervention de Carax dans ce documentaire –à l’exception de quelques propos tenus en voix off (dont il est difficile de dire s’ils sont exclusifs ou prélevés dans une des rares interviews déjà accordées). Il va sans dire que cette absence de celui dont on commente le travail serait problématique pour tout autre cinéaste à qui on consacre un doc, mais qu’elle renforce ici l’aura absolue du sujet.

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L’invisible Leos Carax

Tessa Louise-Salomé

les images créent des courts-circuits, qui laissent transparaître un vrai regard sur l’œuvre

Carax, comme personne physique, ne s’inscrit donc, encore une fois ici, que sur un mode volatil et fantomatique, l’objet de tous les fantasmes, tous les désirs, tous les exercices d’admiration, longuement déployés par ceux qui l’ont à un moment côtoyé dans le travail. Si la parole de Carax est (presque) absente du film, son cinéma en constitue en revanche la matière. L’essentiel du commentaire passe par un montage savamment orchestré de courts extraits. Dans cette chatoyante mosaïque, les images créent des courts-circuits, qui laissent transparaître un vrai regard sur l’œuvre. La parole des intervenants est prise dans cet entrelacs dynamique, où rien ne s’installe vraiment mais où tout rebondit dans une belle logique associative. Le film a la bonne idée de ne pas substituer à une absence (celle de Carax) de la présence. Les remarques ou anecdotes des nombreux collaborateurs (la chefop Caroline Champetier, la monteuse Nelly Quettier, l’acteur Denis Lavant, le musicien Neil Hannon, l’actrice et popstar Kylie Minogue…), critiques (Serge Toubiana, Richard Brody, Kent Jones, Pacôme Thiellement…), cinéastes (Harmony Korine, Kiyoshi Kurosawa…) sont décochées comme des flèches, fusent dans une constellation d’images d’archives (interviews anciennes

de Juliette Binoche, du chef op Jean-Yves Escoffier, journaux télévisés, reportages de tournage) et d’images de films. De ce tressage composite, un cheminement néanmoins se fait jour et sans pesanteur didactique des questions de cinéma (le corps, l’autoportrait, l’artiste maudit, la mémoire du cinéma...) et des problématiques intimes (l’imposture) émergent. Puissamment visuel, fondé sur une logique de la scène comme morceau de bravoure, du plan comme éclat de diamant, le cinéma de Carax se prête particulièrement bien à ce remix, et MrX donne l’envie folle de se replonger dans les films. Ce sera partiellement possible sur Arte, qui diffuse pour la première fois Holy Motors avant ce documentaire, puis cinq jours plus tard, Les Amants du Pont-Neuf et Mauvais sang. L’œuvre ne comprenant que cinqlongsmétrages, on regrette un peu que Boy Meets Girl (son premier film éblouissant) et PolaX (son œuvre la plus clivante) ne soient pas présentés aussi. Ou encore, la très rare version longue, en épisodes, de ce dernier film, intitulée Pierre ou les Ambiguïtés (comme le roman d’Herman Melville dont il est adapté). Dans la seconde moitié des années80, dans une très belle séquence d’archives exhumée ici, Jean-Luc Godard répond à la question “Que pensez-vous de Leos Carax ?” Après deux secondes de réflexion, et un indécidable rictus, JLG répond avec douceur, de sa légendaire voix traînante: “Je lui souhaite beaucoup de courage.” C’est vrai que tout au long d’une carrière chaotique (l’odyssée catastrophe du tournage des Amants…, les différentes disparitions de ses proches –Jean-Yves Escoffier, son actrice et compagne Katerina Golubeva…), il en a eu besoin. Et c’est vrai aussi, à voir son tonitruant retour avec le génial Holy Motors, qu’il n’en a pas manqué. Jean-Marc Lalanne MrX –Le cinéma de Leos Carax de Tessa Louise-Salomé, le 3 septembre, 22 h 40, Arte, précédé à 20 h 50 d’Holy Motors avec Denis Lavant, Edith Scob, Kylie Minogue et Eva Mendes Les Amants du Pont-Neuf avec Denis Lavant et Juliette Binoche, le 8septembre, 20 h 50, Arte Mauvais sang avec Juliette Binoche, Michel Piccoli, Denis Lavant et Julie Delpy, le 8septembre, 22 h 50, Arte 3.09.2014 les inrockuptibles 115

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Breakout Films/Canal+

d’une guerre l’autre Soldat blanc d’Erick Zonca évoque ces soldats français ralliés au Viêt-minh durant la guerre d’Indochine. Une reconstitution réussie bien que conventionnelle.

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lus encore que la guerre d’Algérie, celle d’Indochine traverse le cinéma français de manière spectrale. Si les films de Pierre Schœndoerffer, dont La 317eSection, en restent la trace visuelle la plus forte, un voile d’ignorance la dissimule encore. Le nouveau film d’Erick Zonca, Soldat blanc, produit par Georges Campana, à l’origine du projet, répare aujourd’hui ce manque. Mieux encore, il déplace le sujet vers un horizon encore plus refoulé: la question des “ralliés”, ces soldats de l’armée française passés du côté du Viêt-minh parce qu’indignés par le scandale d’une guerre coloniale qui ne disait pas encore son nom fin 1945, moment où débute le récit du film. Passés à l’ennemi, ces soldats blancs de Hô Chi Minh et traîtres à leur patrie ont disparu de l’histoire officielle. Zonca en restitue la mémoire de manière à la fois documentée et imaginaire, à travers l’aventure fictive de l’un de ces soldats blancs, un jeune engagé, André (Emile Berling) ne supportant pas la politique de nettoyage de l’armée française dans les campagnes indochinoises, masquée sous une mensongère mission de “pacification”. Habilement, si le film s’inscrit dans un contexte historique précis, il s’en détache pour se consacrer à un schéma universel: la rivalité entre deux hommes. En l’occurrence celle qui oppose le soldat blanc à son ami, Robert, baptisé “le Tigre Noir” (Abraham Belaga), combattant acharné, fidèle à l’armée française, obsédé

par l’idée de retrouver le soldat blanc dans la jungle et dans le camp de prisonniers où il est devenu instructeur politique au nom de la cause anticoloniale. Construit sur le fil de cette tension entre deux frères ennemis que tout oppose (la force physique, les idéaux, l’engagement politique), Soldat blanc joue des codes classiques du film de guerre, notamment à travers les errements des soldats perdus dans des territoires menaçants. Le film semble nourri des images fantasmées d’Apocalypse Now de Coppola ou de La Ligne rouge de Malick, dont on devine quelques motifs narratifs (la quête dans la jungle) et esthétiques (la place des hommes dans la nature). Sans renouveler de ce point de vue le modèle d’un film de genre par trop balisé, Erick Zonca est par contre fidèle à lui-même et à son art de filmer ses personnages dans une proximité physique, presque suffocante, qu’il crée avec ses deux héros maudits, dont Emile Berling et Abraham Belaga creusent avec brio les traits nerveux. Quelque chose du Petit voleur et de La Vie rêvée des anges, ses précédents films de cinéma, transpire ainsi dans ce Soldat blanc, habité par les souvenirs de toutes les sales guerres autant que par la violence intrinsèque des combattants. Jean-Marie Durand Soldat blanc d’Erick Zonca, lundi 8septembre, 21 h, Canal+ livre Passés à l’ennemi d’Adila Bennedjaï-Zou et Joseph Confavreux (Tallandier), 288p., 20,90€

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la petite évasion Les prisons ouvertes semblent faciliter la réinsertion et prévenir la récidive. Un documentaire fait le point sur un dispositif diversem*nt appliqué en Europe. ieu emblématique du fonctionnement d’une société, où se cristallisent nombre de fantasmes et où se révèlent souvent les zones les plus sombres de l’inconscient collectif, la prison est l’un des sujets les plus sensibles et polémiques du débat public –ce qui n’incite guère à la prise de risques la plupart des responsables politiques… Ecrit par Anne Hirsch et réalisé par Bernard Nicolas, duo auquel on doit déjà le passionnant Centrales nucléaires, démantèlement impossible ?, en 2013,

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le documentaire Prisons ouvertes: un pas vers la réinsertion ? aborde le sujet par le biais de ces établissem*nts particuliers, intermédiaires entre foyers de travailleurs et centres de détention, que sont les prisons ouvertes. Accessibles sur la base du volontariat à des condamnés en fin de peine, ces prisons pas comme les autres se fondent sur un contrat de confiance entre les détenus et l’administration pénitentiaire (et au-delà le reste de la société) et, tendant à la responsabilisation active

des bénéficiaires, s’emploient à favoriser la réinsertion et à diminuer les risques de récidive. Aux yeux des personnes qui considèrent que celui (ou celle) qui a fauté doit expier sa faute, cette notion de “prison ouverte” s’apparente sans doute encore à un oxymore, voire à une aberration. Tourné dans quatre pays d’Europe (France, Allemagne, Finlande et Suisse) et étayé par de nombreux témoignages, parmi lesquels ceux de Robert Badinter (qui esquissa dès 1982 un projet de prison ouverte, resté

sans suite à l’époque) et du juriste Paul-Roger Gontard (auteur d’une thèse consacrée au sujet, téléchargeable sur son site, gontard.fr), le film montre que, si elles ne sont pas parfaites, les prisons ouvertes ont d’indéniables effets positifs, tant au niveau de la réinsertion que de la récidive. Quelques semaines après l’adoption de la réforme pénale portée par Christiane Taubira, instituant en particulier la contrainte pénale (une peine en milieu ouvert, sous surveillance), sa diffusion par Arte intervient à un moment on ne peut plus opportun. Jérôme Provençal Prisons ouvertes: un pas vers la réinsertion ? documentaire d’Anne Hirsch et Bernard Nicolas, mardi 9septembre, 22 h 25, A rte

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Christophe Abramowitz

Matthieu Conquet présente Culture Musique, sur France Culture

ouïr encore et encore A Radio France aussi, c’est la rentrée. La vénérable maison aère ses grilles et prend les bonnes résolutions, numériques et interactives, de saison.

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a première rentrée de Mathieu Gallet, jeune patron de Radio France (37ans –il est né la même année que le nouveau ministre de l’Economie Emmanuel Macron) se place logiquement sous le signe de ce qu’il appelle lui-même un “changement”. “Al’heure où le média radio voit ses audiences changer, il est temps de se remettre en cause, de relever les défis qui tiennent à l’évolution des usages, des technologies et de la concurrence afin d’aller à la conquête de nouvelles frontières en termes d’audience, de public et de création”, déclarait-il lors de sa conférence de presse le 27août. Le renouvellement des dirigeants des stations du groupe (à part Olivier Poivre d’Arvor, accroché à France Culture)

constitue le premier indice de cette volonté transformatrice. La féminisation des directions des stations (Laurence Bloch àFrance Inter, Marie-Pierre de Surville àFrance Musique, Anne Sérode à FIP) forme un autre indice de cette stratégie, par ailleurs indexée à la nécessité de “prendre en compte les nouveaux modes d’écoute” des auditeurs et développer la déclinaison des contenus sur tous les canaux de distribution “afin d’améliorer leur visibilité”. “Si près de 70 % des jeunes écoutent la radio chaque jour, au moins 40 % d’entre eux lefont sur leur mobile”, rappelait Gallet quientend aussi que le public soit “mieux écouté, impliqué et considéré”, comme l’illustre la nouvelle signature de France Inter: “InterVenez”. Jean-Marie Durand

à eux les studios… … Ou non, puisque sur France Inter, on note la disparition des voix de Daniel Mermet, Laurence Pierre, Laura Leishman… Parmi ceux et celles qui restent, ou arrivent, on sera attentifs à la vie nocturne de Pascale Clark, qui passe de 9 h à 21 h ; àses remplaçants du matin, Augustin Trapenard (Boomerang) et Sonia Devillers (L’Instant M), au retour d’Alain Maneval, voix cultissime du rock à la radio et à la télé les samedis et dimanches à minuit (L’Album de minuit), à la fantaisie deCharline Vanhoenacker et Alex Vizorek (Si tu écoutes, j’annule tout, à 17 h), à la nouvelle émission de reportages de Giv Anquetil, Charlotte Perry etAntoineChao (Commeun bruit qui court, le samedi à 16 h), au magazine d’Ali Rebeihi, Pop fiction (le samedi à 20 h)… Sur France Culture, on écoutera les nouvelles émissions de la délicieuse MarieRicheux (Les Nouvelles Vagues à 1 h), du mélomane Matthieu Conquet, CultureMusique (le samedi à 19 h), le rendez-vous avec le physicien Etienne Klein (La Conversation scientifique, le samedi à 18 h 10), les analyses politiques de Thomas Wieder et Vincent Martigny (L’Atelier du pouvoir, le dimanche à 17 h), l’émission littéraire de Christophe Ono-dit-Biot (Le Temps des écrivains, le samedi à 17 h), les lectures quotidiennes des grands textes de la littérature parDenis Podalydès (de 19 h 54 à 19 h 59). Sur France Musique, la vraie curiosité vient de la Matinale, désormais animée parVincent Josse, qui sera exclusivement culturelle (de 8 h à 10 h). JMD 118 les inrockuptibles 3.09.2014

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail: [emailprotected] ou [emailprotected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

butinons avec l’appli culture Le magazine Tracks lance une application pour tablettes et smartphones. Au menu, archives, interactivité et création. ouveau site, application pour se déployer au cœur toute neuve pour de la ligne éditoriale de l’émission, tablettes et smartphones, enrichie d’un nouvel habillage expérience “second écran” graphique, et encore plus attentive censée enrichir le visionnage aux gestes créatifs de la culture en direct…: le magazine d’Arte numérique, mais aussi aux séries. Tracks ajuste son offre de La culture, abritée et racontée programmes à l’espace numérique par Tracks, s’attache ainsi en cette rentrée. Cette stratégie à explorer des territoires inédits. d’adaptation aux nouveaux usages Circulant depuis dix-septans entre de consommation des images les genres musicaux (rap, electro, répond à une nécessité somme pop, metal…) et les expériences, toute logique: le public assez l’émission contourne les chemins jeune qui forme la cible privilégiée qui mènent à une seule chapelle. de l’émission hebdomadaire La seule intention reste pour les respire naturellementles parfums rédacteurs en chef de Tracks, David de l’air numérique. Combe et Jean-Marc Barbieux, A partir du 4septembre, de “sortir de l’ordinaire” pour scruter les services offerts par l’application les pratiques sociales et culturelles ouvriront ainsi un horizon de qui réinventent des manières possibilités nouvelles, indexé sur de vivre, de créer, de s’amuser, les principes de la post-télévision: de penser, d’osciller entre hasard mobilité, souplesse, rapidité, et nécessité, superflu et stupéfiant. accès, interactivité, enrichissem*nt Ce regard transfrontalier et des contenus… Un fil d’actualités postcritique fait le succès continu culturelles proposera des articles de l’émission depuis ses débuts. courts en continu ; en plus Sa longévité, assez rare, est de visionner la dernière émission l’indice d’une spécificité éditoriale de la semaine, un onglet “explorer” inégalée. A l’originalité et à donnera accès aux archives lafantaisie des sujets, l’émission de l’émission créée en 1997 ; associe la plasticité et la curiosité un espace participatif permettra d’un regard acéré sur l’époque aux internautes de proposer leur détraquée. La traque de l’air contribution (photos ou vidéos). du temps furieux ne cessera plus Pour orchestrer ce dispositif sur nos smartphones et tablettes. Jean-Marie Durand bimédia et alimenter le site au quotidien, l’équipe de Tracks s’est renforcée. La nouvelle webculture Tracks tous les samedis soirs sur dépassera le cadre de l’application Arte vers minuit ; nouvelle application pour tablettes et smartphones pour tablettes et smartphones

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rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JDBeauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JDBeauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, FrancisDordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-BaptisteMorain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs M.-A.Baly, E.Barnett, R.Blondeau, T.Blondeau, A.Bellanger, T. Berteloot, D.Boggeri, N.Carreau, Coco, D.Commeillas, M.Delcourt, V.Ferrané, A.Gamelin, J.Goldberg, A.Jean, O.Joyard, B.Juffin, C.Larrède, J.LeCorvaisier, N.Lecoq, N.LoCalzo, B.Montour, P.Noisette, A.Pfeiffer, E.Philippe, T.Pillault, J.Provençal, L.Soesanto, F.Stucin, Z.Tavitian, M.Turcan, R.Waks lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz assistant Lionel Nicaise responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Vincent Richard conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél.0142 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télé) tél.014244 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél0142441812 coordinateur François Moreau tél.01 42 44 19 91 fax0142441531 assistante Estelle Vandeweeghe tél.01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél.01 42441994 directrice adjointe Anne-CécileAucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél.01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél.01 42 441998, Lizanne Danan tél.0142441990 coordinateur Stéphane Battu tél.01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél.01 42 44 16 08 assistante LouDurand tél.0142441568 relations presse/rp Charlotte Brochard tél.01 42 44 1609 assistante promotion presse Juliette Fouasse tél.0142441668 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél.0142440017 assistante marketing direct Julie Lagnez tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha et Terry Mattard [emailprotected] ou tél.09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, Autorisation 83378 60647 Chantilly Cedex [emailprotected] ou 01 44 84 8034 tarif France 1an: 115€ accueil, standard ([emailprotected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51€ 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, LouisDreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, SergeKaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOetrimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles2014 tous droits de reproduction réservés. 3.09.2014 les inrockuptibles 119

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cinéma Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman Un film génial. Ce qui m’a surtout intéressé, ce sont les scènes de magie noire entre Ismael, Isak et Alexandre. La mystérieuse sensualité de ces scènes et leur altération du temps m’ont toujours fasciné. Je crois qu’un artiste n’aura jamais été aussi proche de la magie.

Party Girl de Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis Regard tendre sur une sexygénaire, un premier film récompensé par une Caméra d’or à Cannes.

Moodoïd Le Monde Möö Baroque et excitant, ce premier-album univers abolit les genres, les couleurs et les formes de la pop.

Et rien d’autre de James Salter L’écrivain de 89ans est de retour avec un roman magistral. Une réflexion douce-amère sur ce que l’on garde d’une existence.

Concerto for Viola and Orchestra d’Alfred Schnittke Le compositeur fait jouer du blues à un orchestre complet, avec une profondeur tragique, extrêmement poignante. Tout repose sur une juxtaposition brutale entre le majeur et le mineur, des aspirations innocentes liées à un cynisme amer. Le dernier mouvement déclenche en moi perplexité et émotion profonde.

littérature Le Vautour de Franz Kafka Une nouvelle courte, forte, avec la meilleure dernière phrase que j’aie jamais lue, “En m’effondrant je sentis –avec quel soulagement– le vautour se noyer sans merci dans les abîmes infinis de mon sang” ! propos recueillis parNoémie Lecoq

22 Jump Street de Phil Lord et Christopher Miller Channing Tatum libéré, Jonah Hill impeccable… Un bijou de comédie pop.

Les Combattants de Thomas Cailley Un dynamitage en règle de toutes les bienséances, sociales et cinématographiques.

Sils Maria d’Olivier Assayas Une œuvre bouleversante qui tisse des liens complexes entre ses personnages et le monde.

The John Steel Singers Everything’s a Thread En refusant de trancher entre krautrock et psyché-pop, les Australiens signent un disque formidable.

Blacklist saison 1, sur TF1 Une des rares séries très grand public vraiment regardables. Un thriller psy qui repose sur un criminel brillant. The Knick OCS City Le retour réussi de Steven Soderbergh à la télévision. Masters of Sex saison 2, OCS City La série sur le sexe et l’amour qui manquait.

Fredo Viola Son nouvel album, Revolutionary Son, est disponible.

sur

Le Ravissem*nt des innocents de Taiye Selasi Une saga familiale entre Afrique et Amérique pour un premier roman lyrique et puissant. Une révélation. Le Teckel d’Hervé Bourhis Deux visiteurs médicaux que tout oppose sillonnent la France. Un feuilleton haletant et retors.

Angus & Julia Stone Angus & Julia Stone Les retrouvailles du frère et de la sœur oscillent entre satin et électricité.

FKA Twigs LP1 Avec son romantisme froid, cette icône d’une nouvelle génération de musiciens soul dessine la pop du futur.

Sara Ross Samko

musique

Le Royaume d’Emmanuel Carrère L’écrivain mêle le récit de sa crise mystique à une enquête sur la naissance du christianisme.

L’Amour et les Forêts d’Eric Reinhardt Le portrait d’une héroïne idéaliste fracassée sur l’arête tranchante du réel.

RASL: la dérive de Jeff Smith L’Américain revient avec une saga qui explose les genres. Flamboyant.

Klezmer 5 de Joann Sfar Les aventures du groupe de musiciens se concluent sur une note dramatique.

Two Cigarettes in the Dark chorégraphie Pina Bausch Opéra Garnier, Paris Inspirée d’une chanson de Bing Crosby, cette pièce évoque la perte de l’être aimé.

Limb’s Theorem chorégraphie William Forsythe Théâtre du Châtelet (Festival d’automne à Paris) Une rentrée exceptionnelle avec une pièce créée en 1990, sur la musique de Thom Willems.

Le Capital et son singe d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault Théâtre de la Colline (Festival d’automne à Paris) Se fondant sur l’ouvrage politique de référence de Karl Marx, Sylvain Creuzevault rouvre le débat sur la révolution avortée de 1848.

La Disparition des lucioles Prison SainteAnne, Avignon La Collection Lambert a pris ses quartiers d’été à la prison Sainte-Anne avec un ensemble important de pièces exposées comme autant de cellules d’évasion.

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige Villa Arson, Nice Une expo à tiroirs sur un business juteux et international: les scams ou pourriels qui envahissent nos boîtes mail.

Anita Molinero Consortium, Dijon La sculptrice française livre une exposition impeccablement sinistre.

Gods Will Be Watching sur PC et Mac Cette sensation indé de l’été n’est pas précisément un jeu aimable, et pas non plus une totale réussite, mais se révèle une œuvre passionnante.

Kero Blaster sur iPhone Rétro ou postmoderne ? Une chose est sûre, c’est une merveille de jeu d’action et d’exploration, en milieu cartoon surréaliste, avec un batracien pour héros.

Soldats inconnus sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One, PC Le vétéran du jeu vidéo made in France Paul Tumelaire accouche d’un jeu de prestige pour le centenaire de la Première Guerre mondiale.

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir surhttp://abonnement.lesinrocks.com) Scopitone du 15 au 21 septembre à Nantes

Pias Nites le 10 septembre à la Maroquinerie, Paris XXe

musiques Pias Nites fait sa rentrée 2014 à la Maroquinerie, avec Jean-Louis Murat &TheDelano Orchestra. L’occasion de découvrir avant tout le monde les beaux morceaux de Babel, nouvel album du songwriter français, qui sortira le 13 octobre. à gagner: 10 places

musiques Scopitone investira Nantes durant sept jours et six nuits, du 15 au 21septembre, avec une cinquantaine d’artistes, dont Salut C’Est Cool, Daniel Avery ou encore Christine & The Queens. à gagner: 2x2 places pour les lundi 15 et mercredi 17 et 5x2 places pour les soirées des vendredi 19 et samedi 20 sous les Nefs

Beck le 11 septembre au Zénith, ParisXIXe

musiques

L’Américain viendra présenter au Zénith de Paris les compositions issues de Morning Phase, son dernier album sorti enfévrier. The Goastt, le groupe de Charlotte Kemp et Sean Lennon, assurera lapremière partie. à gagner: 10 places

festival les inRocKs Philips: Damon Albarn + Moodoïd + Ibeyi le 12 novembre au Casino de Paris, Paris IXe

musiques Dans le cadre du festival les inRocKs Philips, Les Inrockuptibles ont réservé un quota de places à leurs abonnés pour assister aux concerts de Damon Albarn, Moodoïd, et Ibeyi, le 12 novembre au Casino de Paris. A l’occasion de cette soirée exceptionnelle, “sold-out” en seulement quelques semaines, le chanteur et compositeur emblématique de Blur et Gorillaz nous présentera entre autres sonpremier et excellent album solo Everyday Robots. places proposées à l’achat: 2 places maximum parabonné, plus d’infos sur le site du Club inRocKs

La Bâtie – Festival de Genève du 29 août au 13 septembre à Genève (Suisse)

musiques Formation culte de la scène anglaise du début des années90, Slowdive se reforme plus de vingt ans après sa séparation le temps d’une unique date suisse à La Bâtie. à gagner: 5x2 places pour leconcert du 9 septembre à la maison communale de Plainpalais, à Genève

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés Le Capital et son singe du 5 septembre au 12 octobre au Théâtre de la Colline, Paris XXe

scènes

Chant inaugural des consciences prolétaires et des combats socialistes, Le Capital, texte édité en 1867, est pour la plupart d’entre nous un monument inconnu… Sylvain Creuzevault s’intéresse à nouveau au fonctionnement du pouvoir dans cette nouvelle mise en scène. à gagner: 10x2 places par soir pour les représentations des 10 et 11 septembre à 20h

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munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur

http://special. lesinrocks.com/club

fin des participations le 7 septembre

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Bertrand Bonello et Clotilde Hesme par Renaud Monfourny

Bertrand Bonello sera, du 19 septembre au 26 octobre, à l’honneur au Centre Pompidou pour Résonances, exposition mêlant cinéma et musique. Le cinéaste y présentera des installations avec projections et extraits sonores, notamment du film, non tourné, Madeleine d’entre les morts (avec Clotilde Hesme). Le 20 septembre, une avant-première sonore de son nouveau film, Saint Laurent (en salle le 24), aura également lieu en sa présence. Le 29, c’est cette fois un album, Accidents, qui sortira sur le label Nuun Records. 122 les inrockuptibles 3.09.2014

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Name: Saturnina Altenwerth DVM

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